« Casanegra », Casablanca se fait son cinéma !

« Casanegra », Casablanca se fait son cinéma !

Le jeune cinéma marocain nous apporte de l’air chaud avec l’œuvre très réussie et aboutie de Nour-Eddine Lakmari et la vision de son Casablanca noir : « Casanegra » (2009). Ses deux héros ont la force du désespoir et la révolte de la jeunesse en liesse. Les images de la ville sont dignes des représentations du cinéma expressionniste allemand. Je suis tombée en amour pour ce film.

Casablanca de nos jours ou les tribulations de deux amis d’enfance Adil et Karim qui vivent à la marge et de combines diverses. Karim est chef d’emprise sur des mômes des rues qui vendent des clopes dans la rue. Il veut se refaire et venir en aide à sa famille dont le père est presque devenu un légume usé au taf. Adil fait des plans sur la comète Malmö en Suéde. Il se barre de la réalité et se transfère via une carte postale. Ils vivent à « Casanegra », quartier défavorisé de Casablanca.

Nour-Eddine Lakmari, le réalisateur a décidé de prendre ses quartiers et de se faire violence à « Casanegra ». « La violence, tous ces maux utilisés dans ce film, ce phénomène marocain, c’est un phénomène universel et humain. Que l’on voit New York ou des villes comme Londres, il faut arrêter de croire qu’on est parfait, que la société marocaine… non il y a des problèmes partout dans le monde. Il faut qu’on arrête d’être complexé par rapport aux autres ».

La femme aussi doit prendre son envol vers les cieux cléments de son émancipation. Ce n’est toujours pas le cas pour la mère d’Adil qui se fait dérouiller la tronche par son beau-père imbibé et frustré. En revanche, Nablla, (Ghita Tazi) est une jeune femme inaccessible qui excelle dans les antiquités et n’hésite pas à parler français à ses clients comme un privilège de monarque. Karim la bouffe du regard. « Cette femme magnifique qu’il désire tellement. Ce n’est pas lui qui a le contrôle, c’est elle. C’est la première fois dans tout le film. Je voulais juste la rendre sensuelle dans le sens où ils s’embrassent mais pas plus que ça. Moi, ce bisou là a beaucoup plus d’importance que de montrer les personnages à poil. Moi ce qui m’intéressait de dire c’est que ce sont deux êtres humains, ils ont tout pour être ensemble ». (Nour-Eddine Lakmari)
Elle vit seule, est non mariée, élève un enfant est autonome. Elle a aussi l’occasion de végéter dans un milieu où les contraintes sociales s’estompent loin des coups de pompes. La mère de Karim règne sans partage à la casba, depuis que le père s’est épuisé au boulot et elle gagne tout le respect de ses deux enfants. Ces trois portraits de femmes entrevues, le réalisateur en révèle l’opportunité de se libérer des clichés. « Quand tu vois la femme marocaine, elle est belle et s’assume. Il est temps que le Maroc accepte ça. Il est temps que les Marocains regardent la femme marocaine est quelqu’un de fort, sur qui on peut compter. Donc ça été une vision politique, une vision de ce que je regarde autour de moi. Il faut en finir avec les clichés sur la femme marocaine, toujours hystérique qui porte le voile, qui ne sait parler ni s’habiller. Tous les clichés perçus par les étrangers. (…) Tout en disant qu’il y a beaucoup de choses à remettre en question. »

Les deux héros éprouvent un rapport conflictuel avec le travail dans sa norme. Il y a cette scène très émouvante où Karim est assis sur un banc à côté de son père qui s’est usé chez un poissonnier en gros et ne parle plus. Il lui dit ses quatre vérités. «  - Comment t’as fait pour tenir 30 ans là-bas ? 30 ans avec cette odeur. 30 ans, debout 8 heures par jour. 30 ans avec ce négrier qui te suçait le sang. Tout ça pour quoi ? Pour en arriver là ? » (Anas El Baz)

Le réalisateur a voulu que sa caméra tourne au plus près de la réalité de ce quartier qu’il nomme « Casanegra », comme la face cachée sombre de Casablanca. « J’ai poussé les acteurs à parler comme on parle dans la rue. On est parti dans des lieux dans des bars dans ce que j’appelle « Casanegra » où on n’aurait jamais eu l’occasion d’aller. Je disais à mes acteurs, ne jugez pas ces gens-là. Il faut accepter l’autre, il faut le travailler comme tu es ce personnage. » Ces deux héros sont absolument formidables avec leurs travers, leurs désenchantements, leurs traits de caractère d’autant qu’ils étaient les deux seuls acteurs non professionnels de l’équipe. « Le personnage d’Adil, on le trouve à tous les coins de rue, avec sa grossierté et son regard menaçant. Il est aussi très sensible. Il a plein de problèmes mais il s’intéresse aux autres » (Omar Lofti)

Il y a aussi la violence larvée qui s’exerce dans le milieu de « Casanegra » avec le personnage emblématique de Zirek (Mohamed Benbrahim), acteur confirmé au Maroc et époustouflant dans le rôle d’une crapule au grand cœur qui joue de la chignole pour racketter. « Tous les personnages ont un côté brutal, mais tous ont de l’amour. Ce sont des gens sensibles. Quand tu vois le personnage de Benbrahim, c’est est un acteur qui a un côté humain très développé, très gentil, très compréhensif. C’est quelqu’un d’idéal pour moi. » (Nour-Eddine Lakmari)

Je n’ai pas encore parlé de la qualité de l’image et des plans de Casablanca, la véritable héroïne qui s’incarne dans les ombres et les aplats de sa géographie physique. « Visuellement, je suis parti du cinéma noir. Avec mon photographe, on parlait tout le temps de Fritz Lang, le cinéma allemand, on était dans l’expressionnisme. Tout serait un décor important du film. La ville devient le personnage le plus important du film. » (Nour-Eddine Lakmari)

Devant une telle qualité de ce jeune cinéma marocain, on ne peut que s’écrier, que les films de ses réalisateurs traversent la Méditerranée pour nous enchanter. Je souscris aux initiatives des producteurs à pousser de l’avant dans les coursives des salles obscures, ce cinéma du soleil noir de très grand talent. « Ce n’est pas un film qu’on a fait pour choquer, c’est un film qui montre la réalité. C’est une fiction qui permet de décrire le côté noir de Casablanca, en sachant qu’il n’est pas si noir que cela en voyant le film. On a franchement besoin de jeunes réalisateurs qui amènent du sang nouveau dans le cinéma marocain. » ( Dino Sebti producteur)

Casanegra de Nour-Eddine Lakmari, avec Omar Lofti, Anas El Baz, Ghita Tazi, Mohamed Benbrahim …, master haute définition, version originale sous-titrée, durée du film 128 minutes, avril 2010, distribué par Bodega Films, 19, 99 euros

Suppléments :
Making of (22 minutes)
Clip musical (3 minutes)
Bande-annonce