Eté

Eté

Dans Eté (2007), Carole Thibaut, auteure et metteuse en scène - Immortelle Exception, Avec le couteau le pain, Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ?, Fantaisies -, met en lumière avec drôlerie, tendresse et une pointe de cruauté, les désarrois que peuvent recéler certains bonheurs obligés : l’été, les vacances, l’arrivée d’un enfant…

L’histoire d’Eté a pour cadre un petit village de bord de mer. Un jeune couple s’y retrouve, comme chaque année. Mais cette fois-ci il est accompagné d’un bébé. Deux comédiens au jeu subtil occupent la scène. Il y a La femme, interprétée par Isabelle Andréani ; L’homme, par Jacques Descorde. Il s’agit d’une histoire où il ne se passe rien en apparence. Ni éclats, ni drames, ni « élément déclencheur » […], signale Carole Thibaut, auteure et metteuse en scène d’Eté. Et pourtant un puissant climat dramatique émane de cette courte pièce…

Dès le début d’Eté, l’enfant, élément symbolique car relativement invisible, apparaît comme l’élément perturbateur, voire le grand pompeur d’énergie de ce couple mi-figue, mi-raisin, ne possédant apparemment ni la capacité – ni l’envie – d’exprimer quelque sentiment d’animosité. Ce dernier - véritable soupe à la grimace - semble attendre avec soulagement la fin de cet été aux langueurs de violon interminable. Le ton toujours courtois de ce couple lambda, expert en diplomaties postnatales/sentimentales, suggère à nous spectateurs des états émotionnels changeants et une souffrance aussi redoutable qu’absurde et cachée.

Sans pathos, sans excès verbal dans le style, Carole Thibaut met en scène avec subtilité et humour l’histoire de ce couple fascinant par la banalité de ses problèmes qui le rendent humain. Mis en soft accusation par l’arrivée de ce nouvel être indéterminé et braillard, chacun cherche à se déculpabiliser, à alléger l’inquiétude de l’autre, ce qui a pour effet d’augmenter l’ébullition. L’homme assure énergiquement qu’il peut garder tout en travaillant le bébé, ce qui exaspère La femme. La femme, inquiète, geignarde latente (?), suggère la maladie du bébé ainsi que son futur séjour en crèche, ce qui irrite L’homme.

Simple prétexte ou obligation professionnelle, L’homme est vite rappelé en ville. L’autre femme, troisième personnage d’Eté (la très convaincante Sophie Daull), fait son apparition sur la scène, ou plutôt… sur le sable fin. Cette photographe solitaire fait connaissance avec La femme, accompagnée de son bébé, sur la plage.

Au début, la photographe, par son statut emblématique d’Artiste, suscite la curiosité de La femme, qui met sur un piédestal l’univers Artistique. Puis ressentant cette activité comme trop sérieuse ou trop éloignée de sa routine, la photographe finit par l’agacer. (Ironiquement, la dernière partie de la pièce exprime à travers la scène de remise de l’album de photos la gratification narcissique de La femme, lui offrant ainsi une sorte de réconciliation avec cet univers Artistique.)

La plage, lieu stratégique d’Eté, est à la fois le lieu mouvant de l’espace photographique, celui du temps flottant et celui des interrogations profondes de La femme. Elle songe à de nouvelles études, mijote - dans ce lieu chaud et indéterminé entre ciel et mer - comme du petit lait, calculant sans intention maligne ses futurs choix/négociations entre temps de travail, temps de famille et temps des loisirs.

Une scénographie sobre mais diversifiée propulse ce mordant Eté. La variété des climats ajoute au réalisme et à la modernité de la pièce : Psychologique (les conversations de L’homme et de La femme autour de la table de la cuisine), Burlesque (la fête au village arrosée comme une chanson d’Arno), Poétique (les images filmées de ciel, de vagues, d’un monde aquatique).

Enfin, L’homme revient. Il partage avec La femme les derniers jours d’un été problématique et languissant. La femme lui remet l’album de photos – une scène riche, sujette à de nombreuses interprétations. Dépossession symbolique de l’espace du temps de l’homme ? Promesse de meilleurs jours… ?

Création profondément originale, servie par d’excellents comédiens, Eté séduit par son style percutant et drôle, à la fois humaniste et poétique.

durée : 1 h 10

Avec Isabelle Andréani (la femme), Jacques Descorde (l’homme), Sophie Daull (l’autre femme)

Eté
Texte et mise en scène de Carole Thibaut, édité aux éditions Lansman

du vendredi 2 au samedi 24 avril 2010

mardi, mercredi et vendredi à 20 h 30
jeudi et samedi à 19 h 30
matinée : samedi à 16 h
représentation exceptionnelle lundi 12 avril à 20 h 30
relâches le vendredi 9 à 20 h 30 et le samedi 10 avril à 16 h

Théâtre L’étoile du nord
16, rue Georgette Agutte – 75018
Métro : Guy Môquet – Porte de Saint-Ouen – Jules Joffrin

www.etoiledunord-theatre.com