Préservation des espèces : la prise en otage par les politiques !

Préservation des espèces : la prise en otage par les politiques !

A Doha, Qatar, vient de s’achever la 15ème session de la Conférence des
Parties à la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de
faune et de flore sauvages menacées d’extinction) où étaient réunis les
représentants des ministères de l’Environnement de 175 pays devenus les
otages et porte-paroles d’échanges économiques et politiques très éloignés
des enjeux environnementaux qui auraient dû animer cette Convention.

L’avenir du thon rouge devait y être scellé, mais le Japon, aidé par la
Lybie, a pu faire mentir les pronostics des commentateurs qui annonçaient,
depuis plusieurs mois déjà, la fin du commerce de cette espèce surexploitée
dont la population de l’Atlantique Est et de la Méditerranée est proche de
l’extinction. Balayée la proposition monégasque car même en danger
critique, cette espèce ne bénéficiera d’aucune nouvelle protection.

Les pays consommateurs venus au Qatar exercer un lobby pour défendre non
pas l’espèce animale mais l’activité commerciale ont su imposer leur vision
aux autres Parties. Le paradoxe est qu’en rejetant toute mesure
supplémentaire de protection, l’espèce est condamnée, condamnant de fait
l’activité commerciale...

Si toutes les caméras et les micros étaient braqués sur les acteurs de
cette guerre du thon annoncée mais avortée quelques minutes seulement après
l’ouverture des débats, il ne faut pas oublier les nombreuses autres
espèces qui ont fait l’objet de marchandage au cours de ces deux semaines
de CITES durant lesquelles l’humain, en grand gestionnaire du monde
sauvage, se donne le droit de disposer de la vie ou de la mort des autres
espèces.

On retiendra en particulier le cas de l’ours polaire devenu, bien malgré
lui, le symbole du réchauffement climatique. Cet animal emblématique, dont
la population est estimée à moins de 25 000 individus, soit une diminution
de 30 % sur 3 générations, faisait l’objet d’une demande de transfert à
l’Annexe I (commerce interdit) présentée par les Etats-Unis. Il faut savoir
en effet qu’à la menace environnementale majeure, représentée par la
dégradation voire la disparition de son habitat, s’ajoute la chasse
« sportive » et commerciale de l’ours polaire. Sur les 216 peaux, en
moyenne, exportées annuellement entre 1992 et 2006, 87 % provenaient du
Canada. C’est donc, tout naturellement, ce pays qui était le fer de lance
de l’opposition à la proposition américaine.

L’ours polaire sacrifié sur l’autel de la diplomatie

L’Union européenne, qui cherche de toute évidence à calmer le jeu avec le
Canada après la fermeture de son marché aux produits issus de la chasse aux
phoques, s’est alliée au Canada contre les Etats-Unis et, par voie de
conséquence, contre la protection des ours polaires toujours plus isolés et
abandonnés sur leur banquise en péril. L’Europe ne se grandit pas
lorsqu’elle défend une position "politique" au sein d’une conférence sur la
conservation des espèces, l’échec du sommet de Copenhague sur le climat
n’est pas loin et rappelle que les belles déclarations n’ont de sens que
lorsqu’elles se matérialisent en engagements et en actes.

D’ailleurs, il était particulièrement révélateur de constater qu’à Doha les
instances scientifiques étaient écartées des discussions et prises de
positions officielles, pour être reléguées au rang d’alibi ou de caution
scientifique aux délégations ouvertement politiques. C’était vrai pour la
France, pas seulement hélas.

Lorsque l’Egypte présente sa proposition visant à diminuer la protection du
crocodile du Nil, sans apporter la preuve que le prélèvement dans la nature
ne sera pas préjudiciable aux populations sauvages, l’Union européenne s’y
oppose. Mais lorsque la séance de l’après-midi s’ouvre, l’UE annonce
vouloir revenir sur son vote pour ne pas mettre en péril la proposition
égyptienne. L’heure du déjeuner a donc été propice à un rapprochement entre
l’Egypte et l’Union européenne, le crocodile du Nil quant à lui payera le
prix fort de ces compromissions et petites combines entre amis.

A la CITES, depuis toujours, l’espèce phare est l’éléphant mais lorsqu’il
s’agit de prendre des mesures de conservation, une fois encore, la
politique prédomine. On associe le braconnage de l’ivoire au crime
organisé, on qualifie la lutte contre le braconnage de guerre meurtrière,
on compte les victimes au rang desquels nombre de gardes nationaux tués
chaque année dans l’exercice de leur fonction de protection d’un patrimoine
naturel fragile. Mais passé le terrible constat, qui s’engage réellement
auprès des pays africains pour protéger l’éléphant ?

Protection de l’éléphant : l’Asie et l’Europe s’opposent à l’Afrique

Le Kenya a pris l’initiative en dénonçant l’augmentation continue du
braconnage sur son territoire (47 éléphants tués en 2007 pour 271 éléphants
en 2009), puis en présentant, au nom des 23 pays membres de la Coalition
pour l’éléphant d’Afrique*, une proposition visant à étendre l’application
du moratoire de neuf ans sur le commerce de l’ivoire aux 37 Etats de l’aire
de répartition de l’éléphants et non plus aux seuls 4 pays dont les
populations ont été transférées à l’Annexe II (Zimbabwe, Namibie, Botswana
et Afrique du Sud). L’objectif étant d’éviter, durant la durée du
moratoire, toute nouvelle demande de transfert de population à l’Annexe II
et toute vente de stocks d’ivoire. Mais la belle union des pays africains
membres de la Coalition pour l’éléphant a du faire face à l’hostilité des
pays asiatiques, ce qui n’est une surprise pour personne, et à celle de
l’Union européenne qui s’est opposée à l’adoption du texte. Alors pourquoi
cette position de l’Europe ? Difficile à dire, mais dans ce type de
conférence ou chacun est là pour défendre "sa" proposition, tout le monde
est toujours redevable envers quelqu’un...

Ainsi, quand la république-unie de Tanzanie propose de transférer sa
population d’éléphants à l’Annexe II dans le but de réaliser une vente
unique, au profit du Japon et de la Chine, de près de 90 tonnes d’ivoire,
on est en droit de craindre le pire. Le Japon ouvre le bal, il ne se limite
pas à soutenir le transfert de population et la vente des stocks d’ivoire
mais il appelle les autres délégations à soutenir le texte ; un signal très
clair pour les délégations affidées au Japon. La Tanzanie n’obtiendra pas
gain de cause, pas plus que la Zambie qui présentait une proposition
similaire. Mais les jeux étaient serrés et l’abstention de l’UE sur les
deux propositions de transfert de population a pu faire la différence...
Comme quoi, l’abstention a parfois du bon !

Les derniers débats ont porté sur de nombreuses propositions visant à
protéger les requins victimes d’une surpêche générée, notamment, par une
forte demande d’ailerons et de viande. Toutes ces propositions étaient
parfaitement légitimes mais, au final, aucune n’aura été adoptée.

Les ONG ne sont pas les seules à dénoncer cette "politisation" des débats,
le malaise est perceptible au sein même des délégations, c’est ce qu’a
exprimé le délégué de la Guinée lors de son intervention de clôture quand
il a rappelé que la CITES n’était pas un conseil des ministres de
l’Economie mais un organe de gestion et de protection des espèces animales
et végétales. Un appel pour une vision environnementale qui devra être
entendu pour la prochaine Conférence des Parties si elle veut retrouver le
crédit et la pertinence qui semblent lui avoir fait défaut cette année.

* Membre de la CEA : Bénin, Burkina Faso, République Centre Africaine,
Tchad, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Guinée Equatoriale, Erythrée, Ghana,
Guinée, Guinée Bissau, Kenya, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria,
Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Togo, Congo-Brazzaville et le Gouvernement
du Soudan du Sud.