« Il Ferroviere », Germi : la bête humaine dans dure / dure vie du rail !

« Il Ferroviere », Germi : la bête humaine dans dure / dure vie du rail !

Film réaliste au-delà de la réalité en 1956, une nouvelle fois Germi prouve son amour du genre humain emprunt d’un pessimisme noir. En interprétant le rôle principal du conducteur du train en proie à ses chimères tant familiales que sociales, il se dessine une dimension filmique unique et une épaisseur humaine qui sait nous toucher, même après un demi siècle passé. Film d’hier et d’aujourd’hui comme seul à l’époque le cinéma italien pouvait nous enchanter. A voir et à revoir et apprécier le travail d’équipe autour du fameux Pietro Germi !

Sans doute le film préféré de Germi par Germi qui tient le rôle principal, « Il Ferroviere » (1956) est la marque déposée d’un cinéma qui s’inscrit dans une verve néoréaliste italienne un peu tardive. Le travail, autour de la photographie, et la ville décors avec ses rues animées, transcende la vie du rail et ses vrais gens. Jamais encore Germi n’avait éprouvé autant d’empathie pour ses personnages. « Je ne pourrais pas tourner un film sans une profonde sympathie, un amour pour les choses que je veux montrer. Sans cela, je ne saurais même pas où placer la caméra ». (Germi)

En 1956, c’était un peu la dèche pour lui, il n’avait pas tourné depuis trois ans et avait la tête vide quand à une idée de nouveau film à réaliser. Il contacta le scénariste Alfredo Giannetti et ensemble ils battirent le pavé. « Quand nous avons commencé à travailler « Il Ferroviere », je me rappelle une chose merveilleuse. Nous étions tous les deux sans un sou, et moi j’écrivais dans un bistrot fréquenté par des retraités du chemin de fer, juste à côté des bâtiments où habitaient les cheminots, et j’ai commencé à lire en y mettant le ton. Germi était accoudé à table avec son cigare. Il sirotait son vin. Et de temps en temps, je lui jetais un coup d’œil et je le trouvais avec les yeux humides si c’était un passage émouvant ». (Alfredo Giannetti)

L’excellent scénariste avec Germi ne se contentaient pas de lire ce qu’ils avaient écrit, mais ils donnèrent à partager leur texte aux attablés du café, afin d’effectuer en quelque sorte une vérification de la véracité réaliste de leurs données sur le terrain. De cette confrontation fraternelle et créative est née l’idée du film. «  Nous nous promenions, et alors que nous passions près d’une grande bâtisse habitée par une majorité de cheminots, nous vîmes passer et entrer dans l’immeuble un vieux cheminot aux cheveux gris, visiblement ivre, accompagné ou plus exactement guidé par un enfant. C’était la scène habituelle qui se jouait tous les soirs, me dit alors Giannetti. La mère envoyait le fils à l’auberge chercher son père trop ivre pour pouvoir rentrer seul à la maison. De cette brève rencontre m’est resté un souvenir durable et une émotion profonde qui a continué pendant tout le film, depuis le découpage jusqu’au montage ». (Germi)

Je pense, en dehors de l’interprétation brillante de tous les personnages et la qualité des images, le film tire toute sa force de l’imbrication politique, économique et sociale autour de la figure du père cheminot, interprété par Germi et son fils de l’époque : l’étonnant Edoardo Nevola, à travers lequel l’intrigue passe ou trépasse. Egalement présents sur le tournage, Luisa Della Noce alors son épouse et son ami Saro Urzi que l’on retrouve dans « Meurtre à l’italienne ».

Germi s’entoure d’une équipe technique innovante et remettra le couvert en 1958 pour « Luomo di paglia » avec tout ce beau monde actrices et acteurs compris. L’intrigue de « Il Ferroviere » traduit en français par « Le Disque rouge » tourne autour des deux figures de proue du père et du fils.

L’histoire : le soir de Noël, Sandro accourt retrouver son père, Andrea Marcocci conducteur de locomotive pour le ramener à la maison. Seulement, Andrea s’attarde au café, joue de la guitare, chante et picole. Sa femme et ses enfants l’attendent en vin hic à la maison. Dans l’année qui suit se jouent des drames qui vont exploser la famille. Un jour, un homme se jette sous les roues du train et Andrea manque de peu d’entrer en collision avec un autre convoi. Chez lui, sa fille en révolte contre l’image du père macho. Elle veut s’évader du foyer familial et vivre sa liberté. Le fils glande et pique des bijoux à sa mère pour rembourser ses dettes de jeu. La cellule familiale éclate…. Et c’est Sandro, le môme, à travers le regard duquel on assiste à cette chute en avant jusqu’à ce que Andrea renie son amitié avec ses compagnons du rail et devienne un jaune durant la grève des cheminots !

Film social, j’y vois aussi quelques réminiscences avec certains films de Frank Capra, italien lui aussi réfugié aux Etats-Unis pour tourner. Ce côté retournement de situation dans les pires conditions pour renaître à la vie à travers un combat semé d’embûches, sauf que Germi a une vision sombre de l’humanité. Tout ne se termine jamais dans la joie pour son héros détroussé de toutes ses illusions. Après la comédie de mœurs, le film policier et le néoréalisme, Germi brille dans tous les genres. Un film inoubliable et très fort, un de plus par Germi et toute son équipe autour de lui qui marquera l’histoire du cinéma italien jamais égalé. Surtout pas à notre époque où il est carrément moribond. Et pour cause du chef suprême, le Berlusconi qui donne la berlue à toute un peuple endormi, dont il détient pour ainsi dire tous les rouages des médias et qui donne des idées à un autre tyran en pays de franchouille.

Vive la sociale, en tout cas que vive le cinéma de Germi grâce au travail de Carlotta Films qui redonne vie au goût du jour de ce que pouvait être un cinéma engagé et vivant qui s’intéressait aux gens vrais qui avaient encore le cran de se bouger les puces pour agir !

Il Ferroviere (le Disque rouge) de Pietro Germi, version originale sous titrée en français, noir et blanc, durée : 110 minutes, 23 février 2010, 19,99 euros

Suppléments : préface de Jean A. Gili (6 minutes) / bande annonce