« Meurtre à l’italienne », tu nous tues, Germi !

 « Meurtre à l'italienne », tu nous tues, Germi !

Quand Germi s’essaie au genre policier et tient la vedette, laisse les gondoles et la tour de Pise et emboîte lui le pas à Rome ville ouverte et contrastée. Il nous dresse des portraits de personnages fracassants. Il engage la jeune Claudia Cardinale qui cartonne l’écran. Il assoit son film sur une vision sociale. Il taquine l’évocation étriquée du flic ricain et nous le sert rital perspicace et efficace. Quand le meurtre et le vol se tirent la révérence sous le cinoche de Pietri, c’est du pur génie le germe de cet homme là !

Pietro Germi n’est pas un réalisateur à qui on peut faire porter la casserole d’un seul tempérament à tourner invariablement toujours le même cinéma. Grosso modo, au moins deux périodes distinctes ont éveillé son art. De 1946 à fin 1959, cette période est teintée de néoréalisme et ensuite de 1961 à 1972, il s’illustrera à merveille dans les comédies de mœurs. « Mes contradictions viennent peut-être du fait que je n’aime pas qu’on me classe quelque part. Chaque fois qu’on tente de me classer, je me rebelle et cherche à prouver le contraire » (Germi)

« Meurtre à l’italienne » adapté du roman à succès de Carlo Emilio Gadda est un film à connotations sociales. On ressent chez Germi les bassesses de l’individu où le moteur à explosion de la société à cette époque mais aussi encore plus de nos jours, c’est le flouze et le sexe sans le rock and roll ! L’insertion dans les plans des changements de lieux très connotés à Rome (immeuble cossu / club de jazz, lieu de drague homo, bidonvilles…) impliquent les spécificités sociales et culturelles des personnages.

Inspiré du film américain, il se plonge pour la troisième fois dans la peau d’un personnage à l’écran. Il est le svelte commissaire Ingravallo qui porte chapeau, fume le cigare et lorgne derrière ses carreaux de soleil. Etonnant, comment toutes les personnes qui le croisent l’appellent « docteur », même s’il rétorque à chaque fois de façon dépité qu’il n’est pas carabin ! C’est l’une des quelques incisions de comique du genre dans le récit. Il est secondé par un collègue sicilien tout en rondeurs. Ce qui correspond à une réalité bien ancrée. Souvent dans la police, on trouvait des chaussettes cloutées méridionales originaires de Sicile.

L’action : suite à un vol de bijoux dans un immeuble bourgeois de Rome, le commissaire joué par Germi dirige tout d’abord ses suspicions en direction du fiancé d’Assuntina (jouée par l’admirable jeunesse Claudia Cardinale), loufiate de Liliana Branducci (la parfaite Eleonara Rossi-Drago) qui passera l’arme à gauche suite à la rencontre malencontreuse d’un objet contendant mal placé dans la poitrine. Une galerie de personnages tous forts de marc de café brouillent les pistes et nous tiennent en haleine. Il y a Anzaloni marchand de bijoux de famille qui ne se remet pas de la mort de sa mère et va draguer les michetons. Dans le journal, il se voit traiter de vieille robe de chambre par les fins psychologues de la gent des fouilles merde. Il y a le mari de Liliana souvent en voyage qui fait chambre à part, le cave ! et qui replie ses lignes sur les adolescentes domestiques, sauvées pour un temps de la férule des bonnes sœurs, par l’âme humaine et exploitrice de sa femme. Il collectionne aussi sa tronche en portraits portant le calot fasciste avec une navrante ressemblance avec le duce ! Il y a le cousin médecin malgré lui qui adore le fric et tout ce qui brille. Il trafique à l’instinct dans un institut du développement corporel. L’électricien, le futur mari d’Assuntina, qui pour arrondir les angles de ses fins de mois pas toujours très ronds, se vend à une vieille peau amerloche et électrise de son charme latin. J’allais oublier le sublime Germi, tourmenté qui passe à côté de l’amour, à force de courir après la fable des coupables.

Humour et suspense, vous reprendrez bien une dose de « Meurtre à l’italienne » ? Pour rien au monde je ne manquerai cette invitation à plonger dans l’inventif cinéma italien de cette année 1956 et reconnaître avec moi le génie de ce cinéaste / acteur / observateur de son époque pas très claire. On a bien souvent reproché à ce cher et excellent Germi de grossir d’un trait noir sa vision sociale et humoristique de son cinéma. On s’en fiche et tant mieux ! Merci Germi pour tout !

Meurtre à l’italienne de Pietro Germi, 1956, Italie, noir et blanc, version originale sous titrée en français, 110 minutes, distribué par Carlotta Films, 19,99 euros, 23 février 2010

Suppléments : Préface de Jean A. Gili (6 minutes)