« Signore e signori » : la veulerie des bourgeois décadents chez Germi

« Signore e signori » : la veulerie des bourgeois décadents chez Germi

Pietro Germi (1914 / 1974) signe en 1965 « Signore e signori » (« Ces messieurs dames »), une perle rare de la comédie italienne qui lui vaudra la palme d’or ex-aequo avec la franchouillardise à la louche beauf et lourdingue d’ « Un homme et une femme ». « Les bourgeois c’est comme les cochons », de la chanson crèchent à Trévise, Italie du sud. La trique leur tient lieu d’épouvantail et ils taillent leurs chemins d’hypocrites. Insolent et magistral, Pietro Germi nous offre un chef d’œuvre d’humour, un regard exercé et acerbe. On sourit, on rit du début jusqu’à la fin. A ne manquer sous aucun prétexte.

Le film est composé de trois histoires qui se chevauchent par l’apparition des mêmes personnages. Un gars bien ordinaire fait croire à son médecin qu’il est mou du gourdin. Celui-ci, trop heureux de se gausser de son patient, fait passer le message à la compagnie. Le pauvre gars devient la risée de tous ses ami(e)s jusqu’au jour où le bon docteur surprend le type qui ne s’y prend pas du tout comme un manche avec sa jeune femme. A croire qu’elle apprécie sa vigueur ! Adultère entre adultes mécontents,quand l’Eglise se refuse avec force le divorce. Seulement, ne pas perde la face, ne pas s’asseoir sur une fesse…. selon le discours du silence ambiant puisque « Mieux vaut mentir que perdre la face » / « Vous voulez une maîtresse, faites donc, mais par pitié, restez discret ». Dixit les saints sacrements et la piquette du vin de messe. Frénésie des frustrations sexuelles et séquelles du quand dira-t-on du coq et de l’oie blanche qui étanchent leur soif sous les persiennes païennes. Mais que fait la police ? Justement, elle régie aux ordres les yeux fermés pour ne pas trop ébruiter des bruits zarbis. Les journaux locaux sont à la solde des nantis friqués. Rien de nouveau en quelque sorte !

Sur la place de Trévise province de Venise, les notables en famille commentent cul et chemise les mœurs et le maintien de leur mise en scène. L’Italie du Sud mise en boite à la botte par les nordistes se bidonne avec Germi. Village à la ville, téléphone sans fil rital… Au chapitre deux de ces pitreries et contre pétries un servile employé de la banque catholique tombe en amour fou pour une serveuse de bar, bella miam miam, mamma mia, brunette aux yeux bleus (Virna Lisi) ! « Pourquoi il insiste pour je sois aussi idiote ! » (A propos du jeu que Germi voulait qu’elle interprète). Quel choc la douce cruchette qui traîne derrière elle un fardeau. La digne épouse, mégère mouchetée à la croix de Jésus, sensuelle comme une écuelle, sème la zizanie contre cette relation impossible et rameute les amis et la brave famille à se liguer contre lui et son épanouissement. Rideau, sortez les crucifix et baisez le bois vermoulu contre les abus dangereux.

Germi donne son point de vue très réaliste : « Il est évident que les caractères ont moins de relief, ils sont amalgamés et il me semble que cela correspond à la réalité que j’ai constatée sur les lieux : tous un peu fous, tous un peu bizarres, tous un peu hypocrites, tous un peu libertins, tous un peu religieux, tous un peu tout, mais personne qui soit beaucoup quelque chose. Et c’est typique du nivellement des caractères qui vient du progrès, du bien-être, de l’usure de que l’on appelle la civilité ».

L’apothéose de sa prose cinématographique porte l’estocade dans le troisième volet de cette comédie à l’italienne. Une nouvelle beauté brune ingénue nommée Alda promène sa plastique caractéristique qui ne laisse pas du tout indifférent, les gentils amis mâles (pharmacien, vendeur de pompes, médecin, comptable…). Ils se repassent le gros lot jusqu’au jour où le paternel vient demander réparation au formatage, sur l’air de la virginité de sa fille en âge d’être mineure. Au tribunal, tout s’achète et tout se vend au plus offrant….

A un rythme survolté et des images en noir et blanc, Germi ne nous lâche pas les agapes et sape à la charge ce milieu corrompu de province qui émince ses oignons sans ciller d’un trompe l’œil trempé. Les femmes sont dévoilées comme des pouffiasses dignes des chroniques de Manault Deva* sur France Inter (tous les samedis et dimanches entre 8 h 58 et 9 heures). Je n’envie pas non plus les machos croqués par Manault. On atteint à la verve décapante la pente de la comédie de mœurs à l’italienne des « Monstres » à la Dino Risi, d’« Affreux, sales et méchants » d’Ettore Scola et « Divorce à l’Italienne » de ce sacré Germi. Quel régal, je me cavale les zygomatiques, youpi !

Toutes les comédiennes, surtout Virna Lisi, sont épatantes et tous les acteurs sont animés d’une aura houra ! Ce film n’a pas pris une ride, c’est dingue ! je ne m’étais pas régalée depuis très longtemps, d’une comédie aussi finement troussée et abrasive les bons sentiments propres sur eux, le jeu de l’hypocrisie jouant les truffions au purgatoire de la bourgeoisie qui rote dans sa mangeoire en argent !

Signore e signori (Ces messieurs dames) de Pietro Germi, 1965, Italie, noir et blanc, 114 minutes distribué par Carlotta Films, 19,99 euros, février 2010

Suppléments :
Préface de Jean A Gili (7 minutes)
Pietro Germi, Le bon, le beau, le méchant (2009 - couleur et noir et blanc, 60 minutes)

* A suivre prochainement l’interview de Manault Deva !