Le cinéma vérité des pionniers du cinéma indépendant

Le cinéma vérité des pionniers du cinéma indépendant

Chapeau bas pour les artistes de Carlotta Films et leurs petits doigts agiles dans leur art de la restauration de trois chefs d’œuvre du cinéma indépendant américain qui dressèrent des ponts entre la Nouvelle Vague française et le Néo-réalisme. Trois films, à l’étoffe plastiques sidérante, tournés en noir et blanc par des photographes sans le sou autour de Morris Engel nous convient à un New York des quartiers populaires des années 50, insolite et bien vivant avec des vrais gens filmés en catimini sous le regard des héros consentants.

Parmi les riches suppléments du coffret, Alain Bergala, réalisateur et enseignant à la Fémis dresse le lien entre Le Petit Fugitif (1953) avec le néo-réalisme italien (1945 / 1948) et la Nouvelle Vague française dont les 400 coups (1959) de Truffaut rivalisa en liberté et inventivité pour sortir le cinéma des carcans des studios et réinvestir le pavé des rues. N’était-ce pas ce même Truffaut qui dans le n°31 des Cahiers du Cinéma brandissait l’étendard du Petit Fugitif comme porte à faux du cinéma constipé et friqué. « Notre Nouvelle Vague n’aurait jamais eu lieu si le jeune Américain Morris Engel ne nous avait pas montré la voie (…) avec son beau film, Le Petit Fugitif ». François Truffaut

Jean-Luc Godard jamais A bout de souffle, du moins par encore au tout début de sa carrière de réalisateur et vampire de la technique cinématographique se procura la caméra magique que Morris Engel avait utilisée dans ses films. Il s’agissait d’une caméra 35 mm compacte et passe muraille qui était tenue d’une main avec un harnais fixé à l’épaule. Elle était très légère et pourvue d’un système optique à deux objectifs. Discrète puisque proche du concept de la caméra cachée qui consiste à tourner le plus proche possible des conditions de la réalité, elle passait inaperçue dans la foule. Ces trois films d’ailleurs de ce point de vue s’inscrivent dans une vision qui se situe entre le documentaire et la fiction et nous restituent un New York des années 50 comme une page historique proche de l’œuvre ethnologique, sauf que de bien entendu il s’agissait de fictions et de cinéma !

Le Petit Fugitif (1953 / 77 minutes / noir et blanc) de Morris Engel / Ruth Orkin / Ray Ashley ou comment la charge d’un petit frère, par le truchement d’un jeu morbide déride un petit bonhomme à déambuler de Brooklyn à Coney Island pendant que sa mère est au chevet de sa grand-maman. Tourné à hauteur d’enfant avec des comédiens non professionnels dans des décors réels de l’urbanité avec un budget réduit, ce film par ses largesses dans le cadrage subtil et la mise en lumières est tout bonnement extraordinaire. C’est l’histoire de la démerde et l’imagination d’un gosse livré à lui-même qui à partir d’un simple biffeton s’imagine son monde et qui pour l’amour des canassons se découvre une économie parallèle à ramasser les canettes de bière laissées vacantes par les vacanciers pour en tirer le jus de la consigne. La vie dérisoire et absurde des adultes qui courent après leur ombre ne déstabilise jamais Joey alias Richie Andrusco Le Petit Fugitif qui retombe toujours sur ses pieds et sait vaincre ses peurs et ses craintes.

Suppléments :
Introduction : Le chaînon manquant (11 minutes) / Aain Bergala explique pourquoi le Petit Fugitif est un nœud de modernité
Moris Engel, l’indépendant (29 minutes) / Mary Engel, fille de Moris Engel et Ruth Orkin rend hommage à son père et son œuvre.
Bande annonce d’époque / Bande annonce 2009
Le Petit Fugitif – Le carnet du film en images / Livret de 36 pages en fac-similé du carnet de tournage conçu et réalisé par Ruth Orkin, co-réalisatrice et monteuse du film est composé de feuilles blanches et noires à l’intérieures desquelles étaient collées à la fois les dialogues et les photos.

Lovers and Lollipops de Morris Engel (1955 / 82 minutes / noir et blanc). Ann, jeune veuve à la vie monotone, partage son existence avec sa fille Peggy (sept ans) qui s’ennuie et ne sait pas quoi faire. Heureusement qu’apparaît par la petite porte, un certains Larry, éventuel papa de substitution sorti du chapeau suite à son retour d’Amérique du Sud et qui éprouve du béguin pour Ann. Scénario on ne peut plus banal et léger, mais qui au final lié au personnage principal de New York (le zoo du Bronx / les musées / Central Park / Liberty Island et depuis le sommet de l’Empire State Building) sait nous toucher. L’interprétation de la gamine à la fois pestouille et testeuse de pater et le jeu de complicité entre les adultes amoureux nous les rendent savoureux. La scène sur le parking de la plage, du chassé croisé entre Larry et Peggy nous prouve qu’il existe encore des hommes très doux et patients.

Weddings ans Babies de Morris Engel ( 1958 / 78 minutes / noir et blanc). Morris filme dans le quartier de Little Italy à New York. Le marché et ses spécialités culinaires nous titillent les papilles. La caméra, une fois de plus, sait se faire oublier pour notre plus grande joie. Béa jeune suédoise et Al tiennent le magasin de photographie Weddings and Babies spécialisé dans les mariages et naissances. Autant Béa désire se marier, Al s’intéresse d’avantage à se procurer du matériel professionnel pour faire fructifier la boutique. L’eau dans le gaz frémit avec la venue de la mama de Al expulsée de son logement. Est-ce vraiment un hasard si les héros nagent dans la photo ? Le cimetière, village des asticots à échelle humaine, un quartier à lui tout seul et la chasse à la maman fugueuse dans cet univers en pente glissante, alors que la fête entre ami(e)s régnait à l’atelier photo, représente le corollaire entre deux univers qui s’affrontent dans des réalités différentes. Les contrastes que permettent l’emploi du noir et blanc et la photo ciselée redonnent leur existence propre aux personnages secondaires du quartier. Sacré réussite que ce mélodrame à la trame photogénique irréprochable

Coffret collector 2 DVD : Le Petit Fugitif et ses suppléments / Lovers and Lollipops / Weddings and Babies avec en supplément : Ruth Orkin, images de la vie (18 minutes) / versions originales sous titrées en français / nouveaux masters restaurés / format 1,33 , 1,85 et 1,66 respectés 4/3 et 16 / 9 compatibles 4/3, distribué par Carlotta Films, 2009, prix 29,99 euros

Existe aussi Le Petit Fugitif en version solo, 19,99 euros