Sirk ou le drame mélo / mélo allemand d’avant guerre…

Sirk ou le drame mélo / mélo allemand d'avant guerre…

Quatre films de Douglas Sirk tournés entre 1935 et 1937 en Allemagne donnent toute la dimension de ce cinéaste qui a précédé les grands classiques américains. Il met en scène la condition humaine comme cheval de bataille au service de la splendeur du mélodrame et de la forte volonté de s’en sortir pour ses personnages. Et Sirk créa Zarah Leander, pur produit de son imaginaire féminin.

Carlotta Films a édité le troisième coffret consacré à Douglas Sirk, lors de sa période où il filmait sous son véritable blaze allemand : Detlef Sierck.
D’abord metteur en scène de théâtre, il signe un contrat avec les studios de la UFA où il réalisera ses premiers mélodrames flamboyants, avant l’exil en Italie, France et finalement américain. Hollywood bien inspiré lui ouvrira les sentiers de la gloire toujours sous le même registre du mélodrame qui activait sa trame filmique.

Des auteurs fameux scandinaves prêtent leurs textes à ses films : Ibsen et Selma Lagerlöf, maman institutrice à laquelle le ministère de l’éducation nationale avait commandé une oeuvre pour ouvrir le champ de la géographie physique à tous les enfants du pays. « Le merveilleux voyage de Niels Holgersson » juché sur une oie sauvage traverse des aventures fantastiques qui m’ont toujours subjuguées !

Tous ses personnages quel qu’en soit le contexte social (communauté villageoise ou haute bourgeoisie) doivent s’affranchir de leur condition pour marcher debout. L’humanité des êtres avant tout chose, tel aurait pu être son slogan quand il tournait, même si parfois le mélodrame pouvait aussi rimer avec lavasse.

La fille du marais (1935 / 78 minutes) d’après une nouvelle de la grande Selma, narre le destin de la servante Helga Christmann de la ferme du marais en procès contre son employeur qui l’a engrossée et le supplie de reconnaître son enfant. Karsten Ditttmar en visite à la foire aux servantes assiste à la scène et en ressort troublé. De telle sorte que devant le courage de cette femme et la fourberie de la populace en liesse qui raille la femme au nom de la morale protestante, il décide de l’engager à son service. Toutes les vieilles croyances des campagnes reposant sur l’ignorance ressurgissent dans ce film qui offre la vision universelle des mentalités xénophobes de la ruralité engoncée dans ses réalités basées sur l’exploitation des personnes et leur servage volontaire.

Les piliers de la société (1935 / 78 minutes) d’après Ibsen, raconte l’histoire de Johann Tönnessen qui après vingt ans d’exil en Amérique retourne au pays de Norvège avec une troupe de cirque. Il devra affronter sur place son beau-frère devenu le capitalo en gros consul Bernick qui règne en maître sur les destinées de la ville. Les affaires et les secrets de famille resurgissent et Johann subit les ragots sur son départ et sa si longue absence sur fond de résistance des pêcheurs locaux qui se battent pour leurs revendications contre le consul. Ibsen pointe qu’on ne devient pas riche et puissant gratuitement sans œuvrer au détriment de son prochain. C’est par ce film et tout son travail sur la lumière que Sierck mature son art de tourner.

Paramatta, bagne de femmes (1937 / 98 minutes) se situe à Londres au XIX ème siècle. Gloria Vane chanteuse à scandale s’accuse de la falsification du chèque que son amant croulant sous les dettes a émis. Elle en prend pour 7 ans de bagne à Paramatta proche de Sydney. L’autre asticot est un vulgaire capitaine qui est nommé aux colonies en Australie. Etrange tout de même ce hasard dans le ficelage d’un scénario sans queue ni tête…. L’actrice suédoise, véritable fabrique de Sierck n’est autre que Zarah Leander, une nana costaude brune androgyne à souhait, baryton roulant les r, postée sur ses hauts jambons qui faisait dire à ses partenaires, s’ils voulaient atteindre son sillage, qu’ils devaient se monter sur un tabouret, pour vous donner une idée de l’engin ! D’autant plus étrange quand on songe à cette époque que le petit peintre viennois raté était parvenu à ses fins au pouvoir par un coup d’éclat. Il avait placé au ministère amer du peuple de l’éducation et de la propagande, un certain affreux Joseph Goebbels ! Sierck n’est malgré tout pas inquiété pour ses films en faisant joué à l’écran cette grande bringue qui deviendra une vedette internationale qui ne correspondait pas du tout aux critères aryens de la beauté germanique. Les actrices, il les avait dans le collimateur ce monsieur réalisateur. Vinrent aussi sous sa caméra en Amérique, les Larna Turner, Jane Wyman. Zarah chante comme un travelo enroué mais le public l’adore !

La Habanera (1937 / 93 minutes), en 1927 à Porto Rico, Astrée Sternhjelm suédoise flanquée de sa tante Ana tombent nez à nez avec le chevalier Don Pedro de Avila, seigneur et maître de l’île. C’est le coup de foudre d’Astrée. Le macho l’épouse. Avec le temps, aux marches du palais règne un tyran jaloux qui mène l’enfer à Astrée et l’engrosse pour la tenir sous son joug. Heureusement, c’est étonnant, le gentil médecin suédois ex amoureux transi de la donzelle débarque sur place…
Une fois de plus le bon Sierck s’emberlificote les ficelles du scénario pour tenir en alerte son public subjugué par la grande dame Zarah à la voix grave. Ca passe ou sa casse et comme le succès ne trépasse jamais !

Œuvres de jeunesse, la patte du futur Sirk, au service du mélodrame dans toute sa splendeur ! Ah tout de même, le noir et blanc échoit des ombres et du relief dont il sait se jouer, le bougre.

Coffret Douglas Sirk – partie 3 : Les mélodrames allemands (3 DVD), noir et blanc, distribué par Carlotta Films, 2009 ; 39,99 eurosSuppléments

toujours très intéressants :
A propos de La fille du marais (4 minutes) /
A propos Des Piliers de la société (5 minutes) /
A propos de Paramatta, bagne de femmes (11 minutes) /
Doublas Sirk raconte : Zarah Leander et Paramatta (28 minutes) /
A propos de La Habanera (9 minutes) /
Confinement et nostalgie (17 minutes) /
Bande-annonce