Jean Vautrin (1) : la rebiffe de l’homme révolté

Jean Vautrin (1) : la rebiffe de l'homme révolté

Quelle joie cet accueil O combien chaleureux d’Anne et Jean Vautrin (mon héros littéraire) chez eux dans la banlieue bordeluche, On a immédiatement fraternisé une interview du tonnerre qui se décline en trois épisodes. Le premier concerne sa vision de la vie mais aussi au moins sur deux questions d’actualité, sans omettre son œuvre littéraire qui s’enthousiasme pour la Commune de Paris, se solidarise avec les mutins de la guerre de 14 / 18 qui ont su dire NON à la grande boucherie !

Le Mague : « La vie Badaboum », votre hymne pacifiste à votre amour de la vie fraternelle dans le monde de saumure bling bling actuel, la vie, la vraie, celle qui vaut d’être vécue, c’est laquelle selon vous ?

Jean Vautrin : C’est une vie pour laquelle il est déjà trop tard ! Je crois que pour l’essentiel des dossiers, l’homme n’a pas compris assez vite où était la source du danger. Elle consiste principalement à continuer à se parler et à trouver les termes de la parole, les passerelles que représente le langage, l’éducation, la tolérance. A partir du moment où l’homme est suffisamment endurci pour suivre sa quête du pognon, il est bien évident que c’est irrattrapable. Comme les banquiers, les politiques, les économistes, les patrons ont l’air de faire cause commune pour ramener toutes les données humaines au simple besoin de réussir, de faire plus fort que le voisin, de le dominer par l’argent, la réussite. Je crois qu’on va laisser tellement de gens sur la marge qu’on ne peut qu’espérer qu’un sursaut révolutionnaire, une rebiffe générale, une révolution de la part des pauvres.

Le Mague : Mais aussi, quel est le rôle des religions dans ce bordel ambiant orchestré de main de maître à esclave ?

Jean Vautrin : Le fait d’en arriver là creuse un peu plus la barbarie qui se dessine aujourd’hui. Barbarie qui est celle aussi de la religion, des intégrismes qui se conjuguent avec la voix des banquiers. Il y a une espèce de collusion entre des gens qui sont à l’arrêt. Ils ont complètement abdiqué toute idée de liberté et sont asservis à des données religieuses frileuses, retardataires. A côté de cela, il y a des gens qui disent : on est les libéraux, on va libérer le monde, ce qui consiste à s’en foutre plein les fouilles. Je crois que la situation est complètement bloquée. Pour le moment je ne vois absolument pas comment on peut s’en sortir, quel monde on va laisser à nos enfants !

Le Mague : Toujours dans le même désolant registre du fric-frac de nos libertés toujours en danger, quelles remarques vous viennent à l’esprit concernant la proposition de rétribuer les jeunes lycéens afin qu’ils ne sèchent pas les cours ?

Jean Vautrin : Absurde ! Créer la cupidité chez les jeunes, je trouve cela monstrueux. C’est faire peu de cas de la personnalité des gens. Si on cherche à corrompre la nature humaine alors qu’elle est embryonnaire, j’y vois même une sorte de maléfice, de perversité de la part des gens qui décrètent cela, parce que c’est créer une fois de plus une clientèle, des dépendances, un assistanat. Tout ce qui rogne la personnalité véritable des gens est à proscrire, c’est bien évident. On a suffisamment à faire en ce moment sur le plan de la mentalité. Les gens sont asservis par le crédit, la télévision, des tas de choses comme cela, par l’argent. On a crée un troupeau de gens qui sont près à se rendre corps et âme les complices du libéralisme. Je ne vois pas pourquoi, il faut prendre cela dès l’école. C’est monstrueux !

Le Mague : Le référendum populaire, pour la sauvegarde de la poste symbole du service publique de proximité vous en pensez quoi ?

Jean Vautrin : Je suis très attaché aux services. Je m’inscris en faux. Quand je pense à tous les gens qui se sont sacrifiés pour faire parvenir le courrier autrefois. Aussi bien, les aviateurs que les coursiers, les diligences, je trouve cela monstrueux de réduire les services de la poste à une entreprise où on vendra à la fois des cacahuètes, des actions de Suez et autres. Pour moi, la poste revêtait une certaine noblesse. Donner des nouvelles des autres, c’est une noble tâche. On n’a pas besoin qu’ils fassent en plus caisse d’épargne, marchandage de capotes anglaises ou je ne sais quoi. On n’a pas besoin de tout cela. Ca aussi, c’est un moyen de réduire les gens à moelle et de les prendre sous une aile. C’est un moyen de leur enlever leur libre-arbitre, finalement.

Le Mague : Il y a au moins deux époques qui vous ont beaucoup inspiré : la Commune de Paris et la grande boucherie de la guerre de 14 / 18. Pourquoi précisément ces deux périodes historiques ?

Jean Vautrin : Ce qui me séduit profondément dans la Commune de Paris, c’est que c’est un exemple de démocratie directe. En deux mois et demi, ces gens là ont su relever une torche qui a quand même éclairé le monde dans la mesure où ils avaient aboli la peine de mort, donner le droit de vote aux femmes et mille choses encore. Ils n’ont pas dilapidé l’argent de l’Etat. On disait qu’ils buvaient beaucoup, c’est vrai. On disait qu’ils pètaient dans leur froc, c’est vrai. On disait qu’ils étaient grossiers, c’est vrai. Mais c’était bien préférable à la vulgarité de monsieur Thiers.

Le Mague : Et 14 / 18 ?

Jean Vautrin : 14 / 18 me touche beaucoup, parce que je suis alsacien / lorrain d’origine. Je vois l’exemple de ma famille. Les maisons ont été foutues en l’air en 1870, 1914 et en 1940. Je comptabilise aussi tous les chagrins industriels qu’il y a pu y avoir sur ce pays. En Lorraine, l’acier, les forges et le charbon, n’en parlons pas. Ca fait des hommes forts et endurants. Et la Lorraine, elle a toujours été traversée par des guerres. La guerre de 14 a été une épreuve comme on n’imagine pas. Je crois que ce que les hommes ont enduré en 14 / 18 dépasse l’imagination et tout ce qu’on peut inventer dans les nouvelles guerres. Ils ont été bouffés par le typhus, les poux. Ils ont enduré des bombardements inimaginables. Ils se sont battus à l’arme blanche. Bref, ils ont été cocus.

Le Mague : Et pour ceux qui sont revenus ?

Jean Vautrin : Quand ils sont rentrés, leur femme avait changé de mœurs. Elles étaient devenues entreprenantes, indépendantes. Ils n’y ont rien compris. Ca été des gens sacrifiés sur toute la ligne. Si bien que ceux qui se sont rebiffés en 1917 ont toute ma sympathie. Il faut savoir dire NON quoi ! Devant l’entêtement cruel des chefs de l’époque, Nivelle et d’autres gens, il fallait bien que les soldats mettent leur courage à profit pour dire NON. J’espère bien qu’on les réhabilitera tous. Ce n’était pas des gens lâches forcément, c’était des gens qui disaient NON. C’est différent. Il faut savoir dire NON. C’est peut-être la plaie à l’heure actuelle. On ne sait plus dire NON.

A suivre le chapitre 2 : Jean Vautrin des copains d’abord ou ses rencontres avec Rossellini, Raymond Queneau, Ramji-Trois-Doigts, son mode d’écriture avec son aminche Dan Franck, sans oublier la couleur locale qui swingue le jazz gascon, le fameux Bernard Lubat !

Chapitre 3 : Jean Vautrin, homme lumière de la photo argentique à la verve des mots à dessein où il nous exposera son amour pour la photo argentique, ses collages, ses œuvres plastiques, ses dessins, son génie des dialogues et la verve qu’il aime lover dans la bouche de ses personnages qu’il chérie avec le plaisir jouissif qu’il en tire et, enfin le Jean Vautrin des jours d’aujourd’hui et de ses projets d’écritures riches et variées.