Cinq cinéastes, quatre italiens et un suisse montent ensemble sur les barricades des images en 1969 pour composer un film d’une heure quarante à cinq voix différenciées. Chacun à sa manière évoque sa Contestation de 68, en écho des mouvements de libération des mœurs et des libertés, sur l’autel du conformisme bêlant des sociétés capitalistes assujetties déjà au carcan du gagner plus pour se faire arnaquer la tronche, dixit toujours le discours lénifiant actuellement qui annonce le grand carnage de vive la sociale !

L’Indifférence de Carlo Lizzani se situe aux Etats-Unis à New York et relate deux types d’agression. Une femme, au milieu de tours à l’entour sous l’œil insensible de badauds qui prennent de la hauteur dans les étages, se fait détrousser le sac et la personnalité. Dans un tout autre registre, un homme tente d’arrêter les voitures sur une grande artère pour que quelqu’un se décide enfin à venir en aide à sa femme victime d’un accident de la circulation. L’individualisme contre la solidarité ! Cette ville, écran géant de toutes les métropoles du monde, reflète les nouveaux contours d’un monde déshumanisé.

Bernardo Bertolucci aime à mener en bateau son public. Dans L’Agonie, un homme d’un certain âge se meurt et demande qu’on le laisse seul à seul avec ses vieux démons. Une chorégraphie endiablée répond à toutes ses dernières interrogations. Il y a un dans les images, un je ne sais quoi d’un happening digne du Living Theatre de Paradise Now (de Julian Beck et Judith Malina, 1968) tout à fait troublant, tant les physionomies de tous les pays des femmes et des hommes jeunes explosent leurs revendications à la face du vieil homme. Quand tout recouvre l’ordre béni des chose, le croquemort peut se rincer les mirettes au vin de messe dans une chute vertigineuse et bien sentie par Bernardo très en forme.

Pier Paolo Pasolini dans La Séquence de la fleur de papier dévoile la poétique engagée sans aucune niaiserie exagérée au service de son combat. On retrouve Ninetto Davoli, son acteur fétiche qui déambule sourire aux lèvres et la fleur de papier à la main dans les rues de Rome, ville ouverte sur un écran d’images incrustées de guerres et pets de dictateurs. Ninetto, le clown blanc sourd aux rumeurs morbides du monde…

L’Amour selon Godard, c’est du Godard, où un couple voyeur suppute l’histoire d’un autre couple sous la coupe de leur propre histoire. L’amour, la révolution, le cinéma dans les cartons d’un cinéaste déjà très bavard et pas très fou pour un Pierrot !

Enfin, Discutons, discutons de Marco Bellochio termine le film en apothéose. Un huis clos sans ouverture possible entre un professeur d’université, fort de son pouvoir devant un auditoire bêlant d’étudiants les vacances du bâillement, est interrompu dans son prêche par un groupe d’étudiants pro-Hô Chi Minh. C’est comme si la dialectique se mordait les tropiques du marxisme sous le prisme du langage des sourds-muets. J’en raffole la carambole et dansons la carmagnole sur un volcan ! Vraiment charmant et tordant ! J’adore l’humour italien.

A mort le chloroforme du conformisme ambiant auraient pu chanter en chœur ces cinq cinéastes inspirés par la Contestation salutaire, qui n’a rien perdu de son mordant et qui a toutes ses dents. Une exception du cinéma, à ne manquer sous aucun prétexte !

La Contestation (amore e rabbia), un film collectif de Lizzani – Bertolucci – Pasolini – Godard – Bellocchio, DVD 9 nouveau master restauré, version originale, sous-titres français, couleur, 98 minutes, 1969, distribué par Carlotta Films, sorti le 9 septembre 2009, 19,99 euros.