Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus…

 Je suis venu, j'ai vu, je n'y crois plus…


Au cœur des questions sur l’immigration, Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus est un document saisissant sur un sujet brûlant d’actualité à la frontière du social et du politique, avec au centre un enjeu crucial : l’individu et sa place dans le monde…

Parcours insolite que celui de l’auteur Omar Ba : celui d’un jeune Sénégalais, passant son enfance dans un village de parias – ancien lieu de mise en quarantaine des malades de la lèpre – situé à plusieurs kilomètres de Thiès, la deuxième ville du Sénégal. Dès son entrée au collège dans la grande ville, on lui rappelle cette singularité. Omar Ba se souvient :

« […] Avouer provenir d’un village de lépreux n’est pas facile pour un enfant de 12 ans… Je commençais à entendre des réflexions concernant mon village, que certains des élèves de ma classe juraient ne jamais visiter de leur vivant. Leurs parents le leur avaient décrit comme le domaine des monstres, dont tous les descendants étaient forcément malades […] » (p. 13)

Pourtant face à ces mesquineries, et malgré les difficultés financières de sa famille, Omar Ba fait preuve d’un remarquable optimisme. Elève doué pour les langues, à la fois pétri de culture française et avide de connaissance, il se laisse vite séduire par ce qu’il appellera « le Miroir aux alouettes ». Après avoir épuisé toutes les possibilités d’entrer légalement en Europe, il tente de s’y rendre au cours d’un périple qui dure trois ans et au cours duquel il échappe plusieurs fois à la mort (1).

Entré finalement en France de façon légale en octobre 2003 avec un visa d’étudiant, Omar Ba, qui étudie la sociologie, vit depuis cette date en France. Il travaille dans une O.N.G. et est devenu un intervenant régulier dans les débats sur l’immigration. Dans Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, il scrute, répertorie les faits et les causes, l’ayant poussé à partir.

Il le fait méthodiquement, mais sans aucune aigreur. (Le titre du livre, lui-même, se réfère explicitement au vécu de l’auteur, un peu comme une sorte de commentaire social et philosophique en voix off de sa propre expérience : Venir ! Voir ! ne « plus » croire !)

Omar Ba s’insurge donc contre ce mythe tenace d’un eldorado européen, qui aveuglément se nourrit dans les écoles et universités africaines et se perpétue – par honte de décevoir leurs proches – chez les primo-arrivants venus d’Afrique, s’inscrivant durablement dans les mentalités du continent noir :

« J’ai déjà passé cinq années en France. Elles m’ont permis de me rendre compte que la diaspora africaine est en grande partie responsable de l’actualité du leitmotiv "émigrer à tout prix". Jamais un langage de vérité n’est tenu sur l’existence, souvent très dure, de ces expatriés. Il n’existe pas de franc-jeu ni de franc-parler avec les millions de jeunes qui attendent au pays, nourrissant l’espoir de fouler le sol d’un eldorado imaginaire. (p. 27)

Malgré le pessimisme ambiant,Omar Ba croit profondément que l’Afrique peut avoir un Destin économique… Il cite en exemple Saint-Louis, « l’un des carrefours commerciaux et économiques les plus dynamiques de la sous-région ouest-africaine ». Il déplore le peu d’attrait de ses compatriotes – préférant partir pour l’Europe - pour cette région offrant de nombreuses activités génératrices de revenus et créatrices d’emploi.

« Le problème de l’Afrique est que tous les espoirs de ses habitants sont portés sur l’extérieur, au sens large du terme. Le continent noir ne retient plus personne et plus personne ne tient à lui. Ses habitants sont là sans être là. Ils sont devenus des êtres fuyants incapables de soutenir le moindre progrès économique sur place. » (p. 57)

Dans Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, Oma Ba raconte sa vie au quotidien et celles de proches en France sans prêchi-prêcha. Il nous parle simplement d’un certain climat de solitude et d’indifférence qui lui pèse, dans un quotidien imbibé de stress et de la peur de perdre son emploi.

Dans son livre témoignage, Omar Ba a cette phrase terrible :

« Aujourd’hui, je me sens coupable du seul fait de m’interroger sur mon éventuel retour. »

La question du retour en Afrique, souvent taboue, est parfois source de problèmes pour celui qui retourne définitivement au pays.

Dans Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus il se confie :

« Mon propre père m’a clairement signifié que si je pouvais trouver un emploi en Europe à la fin de mes études, il n’était pas utile que je revienne un jour m’installer au pays. Il a édulcoré son discours pour que je me sente moins choqué, mais j’ai compris l’essentiel. Dans son esprit et dans celui de beaucoup de proches, rester en Europe est la solution idéale, quelles que soient les circonstances dans lesquelles on y vit. » (p. 143)

Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus est un livre fort et sincère, certes subjectif, mais ayant le mérite d’aborder l’immigration - ici africaine – sous un angle tout à fait neuf. Un témoignage humaniste et sans langue de bois, empreint à la fois de modération et du désir de mieux connaître les autres…

Dans son Epilogue « Soif d’Afrique », Omar Ba nous avertit :

« Je ne suis pas simplement nostalgique de mon pays ni uniquement déçu par l’Europe. Je ne suis pas non plus un être fragile complètement anéanti par ses désillusions. J’ai décrit une réalité concrète et vécue, laquelle m’a rendu parfaitement lucide et réaliste. »

(1) Soif d’Europe, Omar Ba, Editions du Cygne, 2008

Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, Omar Ba, éditions Max Milo, 256 pages, 2009
Prix : 18 euros