LA VERITE SUR CESARE BATTISTI par Fred Vargas

LA VERITE SUR CESARE BATTISTI par Fred Vargas

Fred Vargas et moi avons en commun un prénom
masculin, l’écriture de romans policiers et la volonté
de défendre Cesare Battisti ! En notre âme et
conscience et pour les bonnes raisons, je crois, que
sont la vérité, la justice et la démocratie.

Ce qui
nous différencie, par contre, est que je suis un gros
fainéant et Fred une grande travailleuse, cappable
d’écrire un livre d’arrache-pied ! C’est ce qu’elle
vient de faire aux éditions Viviane Hamy, pour
remmetre les pendules à l’heure. Il est terminé,
imprimé, pas encore en librairie mais il est pourtant
déjà plus que temps d’en parler : Cesare Battisti
affronte une nouvelle fois la justice le 12 mai
prochain !


Dessin : Rotil

1. Peux-tu nous raconter la génèse de ce livre,
entrepris dans une rare urgence ?

La prise de conscience, le samedi 4 avril au matin, de la stupéfiante censure que la presque totalité de la presse française opposait à toutes les paroles qui tentaient de dire la vérité. La sensation d’un haut mur de béton s’élevant face à nous, la vue presque palpable de la vérité s’engloutissant dans les boues de l’Histoire, sous nos yeux, devant nous, devant moi, impuissante.

Je crois que ce matin-là, mon réflexe d’archéologue et d’historienne s’est déclenché comme un ressort :

Sauver par tous les moyens cette vérité qui disparaissait sous la marée mensongère de la propagande.

Mais par QUEL moyen ? Un livre, me suis-je dit.
Puisqu’on ne nous laisse pas parler, il va nous falloir prendre la parole nous-mêmes. Et j’ai aussitôt appelé mon éditrice Viviane Hamy, dont je connais le courage et l’absolue probité.

2. Comment as-tu franchi ces obstacles ?

Le fait que la maison d’édition Viviane Hamy soit
une petite structure indépendante, sans longs passages par des intermédiaires, et épaulée par un imprimeur d’exception, a permis des délais de
parution hors norme. Quant au livre, pour qu’il sorte avant le jugement du 12 mai, j’avais douze jours pour le faire. Trop court, me suis-je dit.

Aussi ai-je conclu : douze jours ET douze nuits. Sachant que j’écris un roman policier en 21 jours, j’ai calculé que j’avais donc le temps de monter le livre sur Battisti, à condition de ne pas dételer. Et, quand l’urgence est là, même le sommeil ne réclame pas sa part : lorsque la vie d’un homme est en jeu, les obstacles s’effacent d’eux-mêmes et libèrent le chemin.

3. Qu’est-ce qui te choque le plus dans cette
affaire, dite Battisti ?

Que l’on utilise un être humain comme une
marchandise, afin de régler des questions entre gouvernements et ministres. Que l’on
fasse commerce de chair humaine. Que l’Italie réclame ses anciens réfugiés pour des motifs qui n’ont rien à voir avec ceux qu’ils avancent, que la France accepte de puiser dans son "stock" au mépris de l’honneur de sa parole donnée et de sa justice. Que la presse ait publié, en Italie et en France, des mensonges et des désinformations inacceptables, pour aveugler l’opinion publique.

4. Quelles sont les contre-vérités les plus
flagrantes qu’exploitent les accusateurs de Cesare Battisti ?

Dire que la justice italienne des "années de plomb" fut ordinaire, alors qu’elle fut à ce point viciée qu’Amnesty International la dénonça sans relâche pendant dix ans, y compris la pratique de la torture. Dire que les "témoins" au procès contre Battisti furent "ordinaires" alors que ce ne furent exclusivement que des "repentis" ou des "dissociés", c’est-à-dire des personnes avec qui les magistrats négociaient des suppressions ou des remises de peine en échange de noms à donner.

Il n’y eut jamais la moindre preuve contre Cesare Battisti, et personne ne le dit. Que ces accusateurs laissent par exemple croire que Battisti a tiré sur un jeune garçon de 13 ans, alors que ces accusateurs savent pertinemment
que non seulement Battisti n’était pas là, mais que le garçon fut blessé par une balle de son
propre père adoptif. Il y a tant et tant de
mensonges et de non-dits qu’en dresser la liste prendrait... un livre, justement !

Et les deux magistrats qui les ont propagés dans les journaux sont précisément, l’un, le substitut
du procureur qui accusa Battisti à l’époque et
l’autre, l’un des principaux artisans des "lois spéciales"... Mais cela, les lecteurs n’ont pas eu le droit de le savoir... (dans "la Croix", oui, dans "Le Monde", jamais).

5. Le débat public ne s’est-il pas rapidement
retrouvé hors sujet, dans cette affaire ?

Evidemment ! Au départ nous défendions la parole
d’Etat de notre pays, ayant promis l’asile aux réfugiés italiens, et notre Droit, puisque Battisti avait été reconnu non extradable en 1991 par deux arrêts de la Cour d’Appel de
Paris. Mais l’Italie s’est déchaîné et a fait
glisser le débat vers le "Culpabilité" de l’homme, en le transformant en "démon" pour que l’opinion cesse de se mobiliser autour des valeurs de notre République. C’est une technique médiévale : créer un "sorcier", un "diable", et le brûler pour faire oublier le reste. Il a donc fallu aller se battre sur d’autres terrains.

6. Qu’est-ce qui te semble motiver tant d’acharnement ?

Le fait que les gouvernements italien et français n’avaient pas du tout prévu qu’une défense citoyenne et républicaine se créerait en France pour s’opposer à l’extradition de Cesare Battisti.

Mobilisés, les Français se sont mis à parler de l’iniquité de la justice d’alors en Italie et des "lois spéciales". Si bien que ce fantôme très gênant de l’histoire a refait surface... Le gouvernement italien a alors lancé cette campagne
disproportionnée et infamante contre Battisti pour que ces vérités ne puissent pas se répandre et pour remettre le dit fantôme dans son placard.

C’est un vieux tour de passe-passe, médiéval aussi. Cela s’appelle "L’arbre qui cache la forêt"...

7. On a dénombré pas mal de médias d’abord d’évidence favorables à Battisti et logiquement contre son extradition... retournant soudainement leur veste face aux assauts des amis de Berlusconi. Te semblent-ils plutôt complices ou victimes de cette tentative
d’intoxication de l’opinion, orchestrèe en
défaveur de Cesare ?

Je ne peux pas juger de cela. Je sais qu’il y eut
indiscutablement beaucoup de journalistes qui ont cru de bonne foi aux déclarations péremptoires mensongères venues à flot de l’Italie, qui ne se doutaient aucunement des
vérités cachées.

Je veux croire à l’existence d’une intégrité au sein de chaque personne et c’est pour cela que j’espère que le livre sur Battisti permettra de modifier les points de vue en toute honnêteté. Mais on ne peut nier que "Le Monde" est largement responsable de la puissance de la désinformation en France.

Je pense que ce quotidien ajoué délibérément
le jeu de l’Italie, où il a d’importants intérêts
financiers, et la preuve en est que ce journal soi-disant objectif n’a publié, à partir du 15 mars, aucun article d’analyse en faveur de Battisti, mais aucontraire que des textes accablants pour lui, en se livrant à une désinformation patente.

Les positions tout à fait partiales du Monde ont fait énormément de mal dansl’opinion publique et parmi les journalistes, qui les ont prises pour
argent comptant. J’en parle longuement dans le livre car la prise de position négative du Monde a été décisive dans ce combat et a tout obscurci et noyé.

8. La victoire de la gauche a-t-elle tenu ses
promesses... ou bien les élections passées et face à la propagande, rencontre-t-on plus de frilosité du côté des "sauveurs de la démocratie" ?

On ne peut non plus juger de cela en quelques lignes.
Il faut bien comprendre que, grâce à l’ampleur de la propagande diabolisatrice, on a
délibérément ôté aux gens les moyens d’user de leur esprit critique.
Mais je suis convaincue que, dès que la vérité sera bien connue, l’attachement à cette vérité et à notre démocratie redresseront la tête. On ne peut tromper les citoyens trop longtemps, même en jouant sur la peur.

9. A présent, quelles suites à donner ?

Faire connaître la vérité le plus largement possible pour la sauver, et avec elle, la vie de Cesare Battisti.

10. Quelle question aurais-je dû te poser si j’avais été plus pertinenent... ou impertinent ?

Bonnes questions ! Je n’ai rien à y redire !