Lettre ouverte à Jack Dion ( à propos de Battisti)

Dans le numéro 364 de "Marianne", dont chacun a pu observer le tête-à-queue, comme ceux de ses confrères "Le Monde" et
"Libération", vous écrivez monsieur Dion, dans un article intitulé "Cesare Battisti rate son mea culpa", "Que Cesare Battisti assume ou non son passé, c’est une chose ; qu’il persiste à refuser de le condamner, c’en est une autre, bien
plus grave.

Nul ne sait sait s’il a ou non du sang sur les mains, comme on l’accuse de l’autre côté des Alpes".

Nul ne sait en effet monsieur Dion, et l’aveu est de taille. J’observe que Battisti a été arrêté sur un premier mensonge, des menaces de mort proférées à l’égard de voisins, et qu’ensuite on a raconté n’importe quoi pour mieux noircir l’homme. Rappelez-vous les quatre meurtres dont on l’accusait, puis de l’enfant qu’il aurait blessé en attaquant le magasin
> de son père. Or on apprend soudain, que non, pas du tout, l’enfant devenu> adulte qu’on exhibe à la télévision italienne a été blessé par le pistolet de son père, et que ne pouvant se trouver à Venise et à Milan en même temps, il n’a pu tuer le bijoutier de Venise et le boucher de Milan, qu’il est donc innocent du meurtre du bijoutier et du handicap de son fils, puis qu’à Milan il aurait agit "en couverture".

Restent deux meurtres que Battisti nie avoir commis, c’est
sa parole contre celle d’un repenti, et jusqu’à preuve du contraire le doute bénéficie à l’accusé (j’ai lu des choses énormes, pas sous votre plume il est vrai : "ces meurtres ont été commis par Cesare ou son organisation". Si ce n’est
toi, disait le loup de la Fontaine...)

On nous dit, "oui mais et les victimes dans tout ça". Je suis contre la peine de mort monsieur Dion, et que des adeptes de l’autodéfense aient été abattus par des partisans de la justice populaire me révulse. Je ne suis pas un converti de fraîche date à l’action directe ou à l’action armée : j’ai toujours été contre.

Mais les faits datent de 25 ans monsieur Dion, 25 ans pendant lesquels Cesare s’est refait une nouvelle vie, a eu des enfants, ne s’est pas autoproclamé écrivain pour empêcher son extradition, mais a écrit de vrais chefs-d’oeuvre, comme "Buena Onda" ou "Dernières cartouches". Et puis, monsieur Dion, j’ai une éthique : quand un homme trébuche, on l’aide à se relever, on ne lui fait un croche-pied pour le faire retomber.

Oui, mais "le mea culpa" me direz-vous. La repentance se porte bien par les temps qui courent, mais n’a jamais rendu la vie aux millions de juifs,d’Arméniens, d’Indiens, de Noirs, d’Algériens, de Malgaches, de Tutsis ou de Croates,
Serbes ou Kosovars assassinés depuis le début du siècle.

J’entends, moi, monsieur Dion, un homme dire "Les PAC étaient une erreur politique, mais je reste fidèle à mes idéaux de jeunesse", je constate que le mot qui revient le plus souvent dans le forum du "Nouvel Observateur", c’est
le mot "Compassion", et j’entends aussi que cet homme exhorte les jeunes à ne pas suivre son chemin, un homme angoissé parce que l’avenir bouché et des répressions comme celle du G8 peuvent conduire aux mêmes errances dramatiques.

C’est cette angoisse que j’ai perçu dans les derniers chapitres de "Le cargo sentimental", et elle vaut tous
les mea culpa.

J’en terminerai pour dire deux choses : vous comme moi avons un peu du sang des Cambodgiens et des Afghans sur les mains. Cela mériterait peut-être un peu plus de doigté et de retenue dans l’approche de fait remontant à un quart de
siècle.

Et enfin, monsieur Dion, il y a la famille, je ne parle de la famille des victimes, tout le monde y pense, mais il faut
bien aussi que d’autres fassent la queue pour les parloirs, se ruinent en colis, écrivent au fils et au frère pour l’aider à tenir le coup. Cesare, que j’admire comme écrivain et que je n’ai jamais rencontré, fait partie de la famille du
polar. Il n’est pas encore extradé et j’espère qu’il ne le sera pas, mais il est bon qu’il sache que nous sommes et resterons à ses côtés.

Et vous, monsieur Dion, vous ne trouvez rien de mieux que de nous poignarder dans le dos !

Jean-Claude RENOUX