L’État s’assied sur le principe pollueur-payeur

L'État s'assied sur le principe pollueur-payeur

Le Premier ministre a écourté ses vacances pour s’occuper des plages bretonnes polluées par une algue verte qui sent mauvais et gêne les baigneurs.

Ce n’est pas tellement pour dynamiser le tourisme dans cette zone du littoral dégradée par la prolifération de ce végétal que François Fillon s’est déplacé, ni, comme le remarque avec assez d’ironie Sophie Verney-Caillat, pour embêter les écologistes en pleine réflexion. Le chef du gouvernement s’est rendu sur la plage de Saint-Michel-en-Grève pour expliquer aux citoyens français que le principe pollueur-payeur ne sera pas appliqué à la laitue de mer.

"Elles prolifèrent à cause de l’activité des agriculteurs qui leur apportent l’azote dont elles ont besoin pour se développer", explique Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Ifremer au journal Libération. "La fertilisation excessive de tous les terrains agricoles génère de l’azote. Du coup quand il pleut, cet azote atterrit dans les petites rivières qui se jettent ensuite dans la mer et font le bonheur des algues". L’ennui est que non seulement responsables de la dégradation du littoral, mais l’ulva armoricana est toxique.

"Quand les algues se dessèchent, elles forment un dépôt pouvant faire plusieurs mètres de hauteur. Ce dépôt se recouvre alors d’une croûte blanche imperméable à l’air", poursuit le scientifique. "Sous cette croûte, les algues en décomposition fabriquent du sulfure d’hydrogène, un gaz très toxique qui sent l’œuf pourri. Il attaque les voies respiratoires, et peut tuer un animal ou un homme en quelques minutes". Un cheval est mort sur cette plage le 28 juillet et son cavalier, ayant perdu connaissance, est secouru par des témoins. En 1989, un joggeur avait été retrouvé mort au même endroit.

"C’est un type d’algue très primitif et coriace qui se développe dans l’eau de mer, dans les zones peu profondes (elles ont besoin de lumière), et de préférence dans les milieux confinés comme les lagunes", précise Alain Menesguen. "On les appelle plus communément les laitues de mer". Tous les quinze jours, des bulldozers viennent les ramasser et les déplacent sur des sols agricoles, elles font un très bon engrais. Mais c’est tout. Elles ne comportent pas de molécules réellement intéressantes, et ne sont donc pas d’un grand intérêt".

Le ramassage des algues, cauchemar et cheval de bataille des communes de la baie de Saint-Brieuc et de Lannion, est crucial pour la protection des travailleurs et des promeneurs. Les municipalités luttent depuis des années pour être déchargées du coût financier qui s’élève à 100.000 euros par an à Saint-Michel-en-Grève. "L’État va prendre toutes ses responsabilités et prendra à sa charge le nettoyage des plages qui sont les plus touchées, sur lesquelles il peut y avoir un risque de santé publique", a déclaré François Fillon.

Le Parti socialiste a accusé le gouvernement de tenir un "double langage", estimant qu’il ne faisait rien pour engager l’agriculture bretonne vers un modèle respectueux de l’environnement. Il a indiqué dans un communiqué que, cette année encore, les services de l’État ont accordé "des dizaines d’autorisations d’extension ou de création à des élevages intensifs". C’est très juste, mais c’est aussi l’hôpital qui se moque de la charité, les autorisations accordées l’ont été par les administrations sous les gouvernements successifs depuis les années soixante-dix.

Soulignant que la question des algues vertes avait été soulevée par des spécialistes dès les années soixante-dix, France Nature Environnement a réclamé pour sa part "la réunion urgente des responsables politiques, économiques, sociaux et associatifs pour élaborer des solutions véritables au niveau national". Une mission interministérielle va en effet voir le jour pour proposer dans les trois mois un plan de lutte contre la prolifération de la laitue de mer. "On prend les choses en main", a assuré Chantal Jouanno qui s’est rendue sur place avec François Fillon.

16.000 tonnes d’algues ont été ramassées début août à Saint-Michel-en-Grève, contre 7.000 l’an dernier à la même époque. "Nous allons expérimenter le ramassage des algues à la fin de l’hiver, en mer, afin, nous l’espérons, d’éviter des proliférations comme celle que nous avons connue cet été", a promis François Fillon. Mais les algues vertes vont revenir, n’en doutons pas. Il conviendrait pour les éliminer de traiter le problème à la source, c’est-à-dire de diminuer le taux de nitrates produits par les agriculteurs.

"Aujourd’hui, si un nouveau discours s’est installé, il n’est pas toujours accepté, surtout par les agriculteurs", regrette Jean-Yves Piriou, chercheur en environnement littoral à l’Ifremer. "Dans la baie de Saint-Brieuc, ils se sont cependant engagés à diminuer de moitié le taux de nitrates". Une chose est sûre, ils ne se sont pas engagés à réparer les dégâts.