L’opposition trop présente à la télévision

L'opposition trop présente à la télévision

La 2ème chaîne fait la part belle à l’opposition parlementaire selon le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), qui vient d’adresser "des observations fermes" à France2.

Nicolas Sarkozy a-t-il raison de s’estimer maltraité par le service public de la télévision ? Il n’a pas fait mystère de ses sentiments à l’égard de la corporation des journalistes, qu’il trouve trop à gauche à son goût, et a promis à deux reprises au moins, en off, qu’il allait réorganiser les rédactions des chaînes du service public. Pour autant, ses fonctions actuelles au sommet de l’État lui permettent à présent d’intervenir aussi souvent qu’il le souhaite dans les petites lucarnes… Un interventionnisme dénoncé par les socialistes.

S’il n’a plus à se plaindre d’être ignoré par les journalistes du service public de la télévision, les sénateurs et députés de la majorité pourraient s’apercevoir d’une inégalité de traitement à leur égard. Le CSA remarque en effet dans son bilan annuel que la règle des trois tiers, à égalité pour le gouvernement, la majorité, et l’opposition, n’est pas respectée à France2. Dans ses journaux télévisés, l’UMP a bénéficié de 19,3% du temps de parole, contre 33,5% au profit de l’opposition parlementaire et 40,7% pour la majorité.

C’est pire encore dans les magazines que diffuse la chaîne, et des "mises en garde fermes" ont été adressées par l’autorité de régulation audiovisuelle. Elle a remarqué en 2008 "une sous-représentation marquée et persistante" de la majorité (11,5%) au profit de l’opposition (37,7%) parlementaires. "C’est un scandale, Monsieur Carolis !", pourrait tonner Frédéric Lefebvre s’il n’était en vacances et à la recherche d’un emploi pour avoir perdu son siège à l’Assemblée Nationale. La polémique à propos de l’audience accordée aux soutiens du pouvoir aurait dû faire "pschiiiiiiiiiiiit" si le CSA nous avait donné les moyens d’en juger au bon moment.

Les choses vont changer à partir du 1er septembre prochain, puisque les interventions du président de la République et de ses collaborateurs vont entrer dans les calculs du CSA, justement sur la requête de l’opposition parlementaire ! Pas sûr que les parlementaires de la majorité pourront profiter de cette mesure. D’abord, les chaînes et l’autorité devront distinguer ce qui ressort de la parole présidentielle et de celle du chef de la majorité. Pas si facile que ça, et il n’existe plus de bureau de censure pour établir ce qui a trait à l’une ou l’autre…

Si les temps de parole de chacun des camps sont destinés à se réduire en pourcentage, il n’est pas certain que la majorité profite du rééquilibrage ! Renaud Revel estime que l’équitable répartition de l’audience est obsolète, "Cette règle préhistorique est d’autant plus désuète que vouloir soumettre au chronomètre l’expression politique à l’heure d’Internet et d’une communication mondialisée est absurde". Mais au fait : le CSA relève une différence de traitement au profit de l’opposition, mais cela signifie-t-il que les parlementaires de la majorité ont forcément quelque chose à dire et envie de s’exprimer ? Pas si sûr.

Les élus emblématiques des grands courants de pensée qui traversent la majorité appartiennent bien souvent au gouvernement, ou bien en ont été exclus pour une raison politique ou pour une autre. Ces derniers sont placardisés sur les bancs du Sénat ou de l’Assemblée Nationale ou œuvrent discrètement grâce à leur entregent. Pas plus que les journalistes n’ont envie de solliciter leur avis qu’ils n’en ont de le donner. En revanche, les chefs de file ont toujours la part belle, et parlent au nom du gouvernement. Une autre raison de relativiser la pertinence et la portée de ce partage est le soutien apporté par la majorité au gouvernement.

Il s’agit plus d’un consensus et d’une coutume que de la règle. L’expression "député godillot" est toujours utilisée pour moquer le manque d’initiative des parlementaires de la majorité, dont l’activité législative est bien souvent circonscrite à l’adoption de textes de loi élaborés dans les cabinets ministériels ou à l’Élysée. Un rapporteur est pressenti pour défendre celui-ci et celui-là, et il peut espérer, comme Benoist Apparu, intégrer le gouvernement si son talent pour le faire est remarqué en haut lieu. Les journalistes de télévision craignent sans doute que leurs questions ne soient que trop suivies de "langue de bois". Il vaut mieux l’éviter.

Ce n’est pas le cas de l’opposition, dont le rôle est de dénoncer la politique gouvernementale, de s’y opposer avec force, et donc de trouver les relais médiatiques pour montrer à leurs électeurs toute l’ignominie des mesures élaborées par un gouvernement inique. Et c’est pourquoi les représentants de l’opposition sont toujours de "bons clients" pour la télévision. Ils ont toujours quelque chose à redire, quelque chose à dénoncer, une injustice à réparer, une histoire édifiante à raconter. Les journalistes de France2 trouvent ainsi chez eux ce qu’il faut pour meubler leurs journaux télévisés et mettre le débat public en forme. Au détriment, il est certain, de la stricte équité. Pourvu que ça dure !