"Libération" s’est fait avoir par l’"AFP"

"Libération" s'est fait avoir par l'"AFP"

Pas de chance pour Laurent Joffrin : si l’Agence France-Presse ne reprend pas les révélations de son journal, Libération doit publier un droit de réponse de l’agence.

Vexé par l’indifférence de l’AFP envers le scoop de Nicolas Cori sur les provisions pour primes de BNP-Paribas, Laurent Joffrin l’attaque vendredi dans un éditorial au vitriol. Selon lui, "L’agence France-frousse" ne traiterait plus les informations susceptibles de gêner le pouvoir en place, et surtout, celles que publie le journal qu’il dirige… À ce sujet, "Cette étrange timidité s’est manifestée par trois fois au moins", s’indigne-t-il, et de reprendre trois informations dont Libération a eu la primeur.

"Il ne s’agit pas de demander, à l’instar de Frédéric Lefebvre, le roquet inconséquent de l’UMP, la publication automatique des informations diffusées par Libération, ce qui serait ridicule", expliquait Laurent Joffrin vendredi dernier. "On peut en revanche demander à l’Agence, qui a pour fonction d’aider les journaux et non d’entraver leur travail, de mener sa propre enquête et d’en rendre compte". Ainsi l’AFP est-elle sommée de faire son travail de telle manière que Libération y trouve son compte. Cette controverse peut paraître un peu bizarre de la part d’un patron de presse, soucieux de l’indépendance de la profession.

Et c’est sans doute ce que l’agence va lui répondre dans le cadre du droit de réponse que Laurent Joffrin est bien contraint de lui accorder lundi ! Que l’AFP ne reprenne pas ses informations est une chose, mais que Libération se voie obligé d’ouvrir ses colonnes à l’interpellé pourrait lui fournir matière à réflexion. En premier lieu, son journal paie un abonnement pour avoir le droit de reprendre les dépêches de l’agence, un forfait qui pourrait valoir le demi-million d’euros. C’est donc sans cesse que la rédaction fait appel aux services de l’AFP, comme la plupart des quotidiens français. Client irascible, Laurent Joffrin n’est malheureusement pas en position de force vis-à-vis de son fournisseur.

Au mois de juin, les journalistes de La Provence ont appris que Didier Pillet, leur nouveau patron, songeait à résilier l’abonnement du journal à l’AFP, car il "nous a expliqué que le journal utilisait seulement 20 dépêches par jour pour un coût annuel de 550.000 euros". L’économie paraît en effet substantielle, mais elle est aussi à mettre en regard avec le service, et surtout la production dont la rédaction est capable pour suppléer avec ses ressources humaines au travail de milliers de correspondants de l’agence à travers le monde. En effet, il ne reste plus qu’à faire le tri dans le fil des dépêches, à trouver un bon titre et refaire le chapeau quand on est consciencieux, et ça part au marbre !

Mais Libération, déjà aux prises avec ses difficultés financières et l’érosion de ses ventes en kiosque, n’a pas l’intention d’embaucher plus de personnel. La tendance est plutôt inverse dans l’ensemble de la presse écrite, et Laurent Joffrin ne va pas mettre son fournisseur à l’amende. "C’est vrai, il arrive qu’ils ne nous reprennent pas", explique à Rue89 Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef adjoint du journal satirique paraissant le mercredi. "Mais j’ai vécu des cas dans les deux sens : un ordre de la direction pour “lever le pied” sur une info ou, au contraire, la direction qui reproche aux journalistes de ne pas nous avoir repris sur un scoop".

Chaque support est en principe maître de ses choix éditoriaux, mais il est vrai que des pressions s’exercent de la part d’un grand nombre d’intervenants, parmi lesquels les hommes politiques font partie. Le Canard enchaîné a rapporté récemment que le Premier ministre François Fillon, à la veille de se rendre en Irak, s’était présenté sur le perron de l’Élysée en n’ayant pas pris garde de ranger le programme de son voyage dans son porte-document. Les journalistes, qui s’en sont aperçus, ont été rassemblés à la sortie du Conseil des ministres pour leur faire jurer de n’en rien révéler. Il en allait de la sécurité du chef du gouvernement et de la sauvegarde des intérêts de la France.

Par ailleurs, l’un de nos rédacteurs, qui se pique de poésie, s’est une fois ému auprès du rédacteur en chef de l’édition en ligne de Libération qu’elle ne lui permettait plus d’afficher en alexandrins ses commentaires idiots sous les articles. L’entretien a tourné court, le responsable du site Internet de ce prestigieux organe de presse ne comprenant pas qu’un plumitif vienne lui chercher des poux dans la tête à propos de ce qu’il convenait de publier dans son journal. De la même manière, Laurent Joffrin risque de faire les frais de ses critiques à l’égard de l’AFP. Après avoir passé ses nerfs vendredi, le voilà contraint d’offrir une belle page de publicité gratuite à l’agence !