Comment l’État contrôle les banques françaises

Comment l'État contrôle les banques françaises

Avec la reprise des marchés financiers, de nombreuses voix s’élèvent pour s’inquiéter du retour aux anciennes pratiques de rémunération dans le secteur bancaire, et s’inquiètent de l’absence de tout contrôle exercé par les pouvoirs publics sur la gestion de banques qu’ils ont portées à bout de bras après la crise boursière.

C’est Nicolas Cori, talentueux journaliste à Libération, qui a mis le feu aux poudres mardi, avec la révélation des provisions que BNP-Paribas a faites en prévision des bonus à distribuer après la clôture de l’exercice comptable : un milliard d’euros ! Le jour anniversaire de l’abolition des privilèges, le chiffre a de quoi estomaquer le moins revanchard des prolétaires en train de se demander s’il va pouvoir offrir un cornet de glace à chacun de ses enfants…

"Le chiffre d’un milliard calculé par Libération est proche de la réalité mais, en tout état de cause, les provisions pour bonus effectuées en cours d’année sont virtuelles puisque ces bonus ne sont decidés qu’en fin d’année, au vu des résultats effectifs de l’exercice", finit par concéder la banque, alors que le branle-bas de combat fait débouler tous les argentiers que comptent nos ministères sur les plateaux télévisés, pour expliquer que la situation est sous contrôle.

Tard dans la soirée de mercredi, la ministre de l’Économie annonce qu’elle a écrit au gouverneur de la Banque de France pour appeler la Commission bancaire, l’organe de contrôle des banques en France, lié à la Banque de France, à "la plus grande vigilance en matière de rémunération des opérateurs de marché". Christine Lagarde a d’ailleurs demandé à Christian Noyer de lui adresser "d’ici la fin de l’année" un rapport sur la question. Matignon convoque les représentants de banques françaises à venir s’expliquer vendredi sur les conditions d’attribution des bonus à leurs traders.

Vendredi, l’Élysée indique dans un communiqué que Nicolas Sarkozy réunira i l’ensemble des banques françaises le 25 août pour s’assurer du respect des engagements pris depuis le début de la crise financière, tant en en matière de financement de l’économie que de rémunération des traders. En attendant, il a demandé au gouverneur de la Banque de France Christian Noyer "d’appliquer avec fermeté les règles en vigueur, notamment en matière de rémunération". Le chef de l’État français en appelle également à une prise de conscience internationale, et affirme son intention d’en faire un des sujets majeurs du prochain G20, qui se déroule au mois de septembre à Pittsburgh.

"Chacun mesure aujourd’hui la faute économique, politique et morale qui a consisté, de la part du gouvernement, à ne pas entrer dans le capital des établissements bancaires qui ont reçu l’aide de l’État, exigence sans cesse formulée par le Parti Socialiste et l’ensemble de la Gauche", présente Martine Aubry jeudi dans un communiqué. De plus en plus nombreux sont ceux qui soulèvent le cas du décret-loi du 30 octobre 1935, qui autorise — voire oblige — les pouvoirs publics à se faire représenter aux conseils d’administration des établissements qu’il financent.

"Il est réservé à l’État au sein des conseils d’administration, de gérance ou de surveillance, des sociétés qui font appel à son concours sous forme d’apports en capital, ainsi que des sociétés dans lesquelles il détient une participation au moins égale à 10 % du capital un nombre de sièges proportionnel à sa participation sans que ce nombre puisse être supérieur aux deux tiers des sièges du conseil, ni, dans les conseils d’administration des sociétés anonymes, inférieur à deux. Pour la détermination de ce nombre, il n’est pas tenu compte des représentants élus par le personnel salarié, notamment en application de l’article L. 225-27 ou de l’article L. 225-79 du code de commerce".

"Ce n’est donc pas de l’idéologie, c’est dans la logique des choses", fait remarquer Ronald Van Assche sur son blog toujours très pertinent. "Par contre c’est l’idéologie libérale qui fait que les banques ont imposé à Sarkozy (qui n’en demandait pas plus) de ne pas rentrer dans les organes de décision. On se demande même si le plan d’intervention dans les banques n’a pas été taillé sur mesure par les banquiers eux-mêmes". Mais en réalité, l’État dispose de moyens plus subtils pour s’assurer de l’harmonie des banquiers avec la volonté politique. Inutile de légiférer ou de s’immiscer dans les affaires privées de nos financiers, il suffit de leur passer un coup de fil !

Tout le monde se souvient par exemple du tollé provoqué par le déménagement de François Pérol du palais de l’Élysée à la nouvelle entité créée sous ses bons conseils avec la fusion des Caisses d’Épargne et de la Banque Populaire. Et c’est dans ses nouvelles fonctions, dans un bureau plus confortable et avec un bien meilleur salaire, qu’il va s’employer à mettre en pratique la politique économique dont il était précédemment chargé à l’Élysée. François Pérol n’est d’ailleurs ni le premier, ni le dernier à sauter le pas du public au privé. La plupart des directeurs exécutifs des banques françaises sont issus du sérail.

Ainsi Baudoin Prot, directeur général du groupe BNP Paribas, ancien élève de l’École Nationale d’Administration, est de la même promotion que Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. François Pérol est un peu plus jeune, mais il y a fréquenté Martin Hirsch et Denis Simonneau, ancien directeur adjoint de Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire d’État et président en exercice de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Le monde est petit, finalement !

Frédéric Oudéa, directeur exécutif de la Société Générale, a côtoyé Nicolas Bazire, directeur de cabinet du Premier ministre Édouard Balladur et toujours proche de Nicolas Sarkozy, ainsi que Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et récemment en charge de l’international à France Télécom. Il devrait remplacer Didier Lombard dont le mandat à la tête de l’entreprise arrive à échéance en 2011. Ancien patron de la filiale immobilier de la Générale des Eaux, il a fait fortune dans les années quatre-vingt-dix en revendant l’entreprise devenue Nexity, issue du groupe de bâtiment de Bernard Arnault, où travaille justement Nicolas Bazire.

Pour finir la boucle, citons dans la promotion Guernica de 1976, à laquelle appartient également Baudoin Prot, le député Gilles Carrez, rapporteur de la Commission des Finances à l’Assemblée Nationale et membre du groupe de travail parlementaire sur la crise financière internationale. Il n’y a finalement que les dirigeants du Crédit Agricole à faire figure de ploucs dans ce milieu. Mais les paysans du réseau bancaire mutualiste ont souvent préféré passer par l’École Polytechnique, autre canal historique pour faire carrière dans l’administration.