Torturé pour l’empêcher de dénoncer un meurtre

Torturé pour l'empêcher de dénoncer un meurtre

L’affaire que rapporte Le Monde de mardi 28 juillet est affreuse, et tellement banale des horreurs qui se passent en prison. Un ancien détenu laisse entendre que les violences qu’il a subies de la part d’autres détenus ont été commanditées par des membres du personnel de l’administration pénitentiaire, de façon à le dissuader de dévoiler un meurtre dont il dit avoir été témoin, selon une source judiciaire.

En prison, c’est la loi du silence plutôt que celle de la république. Tout le monde le sait, c’est écrit noir sur blanc dans tous les romans noirs. Le témoignage que rapporte le quotidien vespéral met en lumière une fois encore les terribles vicissitudes de la vie derrière les barreaux. Le problème est que cette affaire est à tiroir, et déchire le voile sur un autre crime à l’heure actuelle encore à élucider. Après avoir passé deux ans en détention provisoire pour ces faits, il a été remis en liberté il y a une quinzaine de jours, selon son avocat Me Jean-Yves Liénard, qui estime que les affirmations du témoin posent "la question de l’origine des coups mortels".

À l’origine, il s’agit d’une rixe banale dans la cour de promenade à Fleury-Mérogis le 25 août 2007, qui provoque l’envoi d’un détenu à l’infirmerie. L’homme décède quelques heures, ou quelques minutes plus tard, faute de soin. Ce détenu s’appelle Denis Ardon, il a 22 ans, et les circonstances de son décès ne sont pas encore éclaircies. Une instruction pour "homicide involontaire" est toujours en cours, deux ans après les faits, alors que ceux-ci se sont déroulés en lieu clos. Évidemment, les témoins manquent pour expliquer comment un homme en prison, sous la seule protection de l’administration pénitentiaire, peut mourir dans la force de l’âge.

Devant Caroline Davroux le 23 avril 2009, lors de son audition sur la mort de Denis Ardon, un homme parle enfin. Il était à l’infirmerie au moment où les surveillants ont introduit Denis Ardon. "Les surveillants l’ont mis à terre et l’ont tapé, j’en suis sûr", explique l’autre détenu, qui patiente à côté pour des hémorroïdes. "Ils lui disaient "arrête de faire ton cinéma, mets toi debout" ; le mec ne répondait pas", assure-t-il sur le procès-verbal dont Le Monde a pris connaissance. Pour les surveillants, Denis Ardon a été amené à l’infirmerie "sur un brancard" ! Ils installent le patient sur un lit en position latérale de sécurité avant d’aviser le médecin, qui ne constate apparemment rien d’anormal.

C’est ensuite que tout bascule pour le témoin gênant, et qui fait l’objet de l’article du quotidien vespéral. Selon Me Damien Brossier, son client a bénéficié par la suite d’une situation relativement privilégiée pour un détenu, en tant qu’"auxiliaire de cuisine", avant de faire l’objet de menaces et de "gifles" de la part de gradés de l’administration pénitentiaire. "On lui a fait comprendre qu’il devait se taire", a estimé l’avocat. Il dit avoir ensuite subi des violences de la part de codétenus, qui lui ont fracturé la clavicule et un doigt, blessures qui selon lui n’ont pas été soignées, selon Me Damien Brossier. "En guise de soins, on lui jette du coton et quelques lingettes", rapporte Le Monde. Ensuite, mis à l’isolement pour le punir, le détenu fait l’objet de sévices.

Son client affirme qu’alors qu’il se trouvait à l’isolement, des codétenus lui ont infligé des brûlures aux fesses avec une résistance, et l’ont violé avec le manche d’une balayette, selon l’avocat, qui estime que ces faits constituent des actes de torture et de barbarie. "J’avais deux Thermos qui chauffaient sur une plaque pour le thé", raconte l’ancien détenu cité par le journal. "Ils m’ont baissé le caleçon et me les ont plaqués sur les fesses. Puis ils m’ont enfoncé un manche à balai". Les faits de viol n’ont pas été mentionnés devant le juge d’instruction en avril, a-t-on expliqué de source judiciaire. "Si les faits sont avérés c’est quelque chose d’extrêmement grave et j’exige que toute la lumière soit faite. Il y une enquête en cours", a déclaré mardi le Garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, en marge d’un déplacement à Marseille.

Une information judiciaire ouverte mardi pour "violences volontaires en réunion et avec arme" a été confiée au juge qui instruit également l’enquête sur le décès de Denis Ardon le 25 août 2007 dans des circonstances qui prennent aujourd’hui une toute autre dimension. Me Sylvie Noakovitch, avocate des parents de la victime, qui attendent une explication sur le décès de leur enfant dans des circonstances mystérieuse, va pouvoir reprendre avec des éléments nouveaux un bien mince dossier. Parce qu’en prison, on ne parle pas.