Purges mélodramatiques au Parti socialiste

Purges mélodramatiques au Parti socialiste

Manuel Valls contre Martine Aubry… L’affiche le donne comme le combat des chefs, mais c’est plutôt celui des coqs. Dans la basse-cour de la Rue de Solferino, la querelle est toujours vive entre opposants et partisans de Ségolène Royal. Le quadra Manuel Valls se sent pousser des ailes, pariant que les deux prétendantes à la victoire finale s’épuisent, à moins qu’il ne fasse partie d’un plan de bataille plus général, où il n’est qu’un pion qu’on avance.

La prose socialiste est plutôt agréable à lire en ce moment. On y retrouve les accents des grands polémistes des années trente, et l’on attend, on redoute, on espère de jolis noms d’oiseaux sur lesquels la presse pourra tenir ses lecteurs en haleine pendant deux ou trois jours. À moins qu’un autre avion ne tombe à l’eau ou qu’une idole du show-biz ne décède à l’impromptu. Nous autres, observateurs du microcosme, sentions Manuel Valls depuis quelques semaines sur les charbons ardents. Le verbe politiquement correct jeté aux orties, il s’en prend aux métèques, aux immigrés… Bref, à une société qui affiche une diversité un peu trop colorée.

Manuel Valls raciste ? Manuel Valls fasciste ? L’Histoire ne compte plus les gens de gauche passés à droite sans arme ni bagage, et parfois même à l’extrême-droite : Jacques Doriot, Marcel Déat, Alain Soral… N’en jetez plus par pitié, la cour est pleine ! Manuel Valls n’est certainement pas de ceux-là, et il l’affirme à propos du Parti socialiste dans la réponse qu’il a écrite à Martine Aubry : "Je t’informe que j’entends bien rester fidèle à mon poste, à ma famille politique et à mes valeurs". Dont acte.

L’ancien lieutenant de Ségolène Royal, puisqu’il a fait mine de prendre ses distances avec la chef de file de la motion perdante au Congrès de Reims, refuse le procès en sorcellerie que lui intente Martine Aubry. "Tu me soupçonnes "d’espérer la fin du Parti socialiste"". Se souvient-il des réponses qu’il a données à l’hebdomadaire Paris-Match, souhaitant dissoudre la formation politique à laquelle il adhère dans "un grand parti de gauche et démocrate qui puisse rassembler au-delà de ce qu’est le PS aujourd’hui et qui réunisse les socialistes, les écologistes, le MoDem mais aussi des gens issus de la mouvance associative, syndicale, intellectuelle" ?

Cette "alliance rose-orange-vert" à laquelle il aspire n’est pas possible à l’heure actuelle, non pas du fait de Martine Aubry, mais des autres composantes de gauche qui lui récusent un leadership par trop présomptueux au vu des scores électoraux enregistrés par le Parti socialistes lors des scrutins précédents. "Martine Aubry nous dit que le parti socialiste est en ordre de marche pour affronter de nouvelles défaites", écrivait sur son blog Manuel Valls le 5 juillet dernier. "Tel le chef d’orchestre sur le pont du Titanic, elle convie les socialistes à bien lire leur partition tout en leur cachant la vérité sur l’ampleur des voies d’eau constatées sur le navire".

Si toutes ces attaques ad hominem ne sont pas des motifs d’exclusion dans un parti que certains de ses propres membres ont qualifié de bolchevik après l’installation d’une nouvelle direction incarnée par Martine Aubry, c’est à n’y plus rien comprendre ! Et Manuel Valls d’en rajouter une couche, associant fallacieusement son parti au Komintern qui lui a toujours fait horreur : "Le PS a besoin de se forger une nouvelle identité qui tarde à se concrétiser depuis la fin du bloc soviétique, bien au-delà du postmatérialisme et de la mondialisation".

La manœuvre de Manuel Valls pour provoquer un clash, et sa propre exclusion des rangs socialistes est cousue de fil blanc. Mais à l’inverse de Jean-Luc Mélenchon ou même de Georges Frêche, il partira les mains vides, car seule une coterie est susceptible de se rallier à son panache blanc. Nul ou presque, ne croit à l’éventualité d’un triomphe en 2012, un sacre que se prépare tranquillement Nicolas Sarkozy à force d’atomiser l’opposition, en dispersant ses adversaires. Manuel Valls peut-il lui-même réellement croire en la concrétisation si rapide de son destin national ?

De la tentative de déstabilisation à la purge, il n’y a qu’un pas. Benoît Hamon justifie la mise en demeure de Martine Aubry comme un avertissement donné au plus remuant des trublions : "Oui, c’est une manière d’envoyer un signal aux autres socialistes, en leur disant : "il faut maintenant retrouver les voies du dialogue". Il faut arrêter la cacophonie. Au PS, chacun est libre de s’exprimer, mais on est pas obligé de le faire contre le parti". Manuel Valls risque gros, et il va sans doute tirer les marrons du feu de cette opération suicide.

Les questions de ligne politique, de doctrine et de leadership n’ont pas été tranchées au Congrès de Reims avec assez de clarté. Ségolène Royal a besoin de se trouver en position de force pour aborder la campagne pour les élections régionales sans craindre un piège dans son fief, et garde un œil sur la Rue de Solferino. Le seul moyen d’être élu(e) à la présidence de la République est de disposer de la logistique d’un parti en ordre de marche.