Les gros salaires bientôt à la portion congrue

Les gros salaires bientôt à la portion congrue

Le président de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) Jean-Pierre Jouyet s’est lâché à la radio jeudi matin dans une violente diatribe à l’égard des grands patrons en stigmatisant leurs gros salaires, en général augmentés d’une part variable dépassant tout entendement. Ce que ce dangereux gauchiste souhaite, "c’est plus de transparence et de responsabilité dans l’auto-contrôle".

Loin d’être l’expression d’un point de vue iconoclaste et singulier présenté au public dans le but de présenter un des aspects de tout l’éventail de l’opinion publique française, celui de Jean-Pierre Jouyet s’appuie sur un rapport parlementaire où des élus de la majorité proposent une loi-cadre sur les rémunérations des grands patrons et notamment ses multiples éléments variables, actions gratuites, stock-options, parachutes dorés, retraites-chapeau. Par ailleurs, ce haut fonctionnaire et ancien membre du gouvernement se réfère au "code de bonne conduite" édicté à la fin de l’année 2008 sur ces questions par le Medef.

Jean-Pierre Jouyet a relevé que pour 58 des 60 patrons de grandes sociétés ayant fait l’objet d’un examen de l’AMF, la part de rémunération variable constituait toujours l’essentiel des revenus, sans rapport clair avec la performance. Il entend écrire aux sociétés en question et signaler les abus au comité des sages du patronat. Au besoin, a-t-il ajouté, l’AMF les dénoncera publiquement. "C’est une possibilité qui reste parce que la publicité est toujours une sanction", a-t-il menacé. Ce contempteur du libéralisme souhaite plus d’action dans la limitation des cumuls entre mandat social et contrat de travail et les retraites-chapeau. Dans le pays de la libre entreprise, où le chef de l’État s’est fait élire pour être "le président du pouvoir d’achat", on croit rêver…

Mais cette prise de position qui ressemble à s’y méprendre aux slogans proférés par l’anti-capitaliste Olivier Besancenot s’inscrit en réalité dans un mouvement général de pression sur les salaires, à quelque niveau qu’ils se situent. Ainsi le Chancelier de l’Échiquier Lord Alistair est-il en train de préparer au sein du gouvernement travailliste de Sa Majesté des mesures de contrôle drastiques à l’égard des banquiers. Fort des subventions accordées aux établissements britanniques à la suite du désastre boursier du 15 septembre 2008, le gouvernement anglais entend contrôler la gestion des banques de la City, réglementer les bonus versés à leurs employés, et sanctionner durement les manquements à la politique de parcimonie qui doit dorénavant servir de ligne de conduite aux dirigeants des banques.

De même, le président Barack Obama s’est-il laissé aller le mois dernier à stigmatiser les ambitions des meilleurs créateurs de richesse aux États-Unis. "Avec les réformes que nous proposons aujourd’hui, nous cherchons à mettre en place des règles qui permettront à nos marchés de promouvoir l’innovation tout en décourageant les abus", a déclaré Barack Obama le 17 juin 2009. Son projet, qui prévoit d’accorder des pouvoirs accrus aux instruments de contrôle des marchés financiers, plaide en outre pour une modification des règles de gouvernance en matière de rémunération des dirigeants d’entreprise. "Mon administration propose une réforme de grande ampleur du système de régulation financière, une transformation d’une ampleur sans précédent depuis les réformes qui ont suivi la Grande Dépression", résume cette ambition.

La crise économique n’aura donc pas seulement eu pour effet de précipiter les salariés les moins pourvus vers le chômage, elle invite les pouvoirs publics à réviser vers le bas l’ensemble de l’échelle des salaires. Non seulement Nicolas Sarkozy paraît nous avoir trompés en prétendant qu’il faut "travailler plus pour gagner plus", mais il permettrait que s’applique à tous les niveaux, même les plus élevés, un malthusianisme économique propre à décourager les plus entreprenants… Michel Rocard lui-même, chantre de la social-démocratie, ne remarquait-il pas lundi dans les colonnes du journal Le Monde que "les classes moyennes supérieures des pays développés sont en train de renoncer à l’espoir d’arriver à l’aisance par le travail au profit de l’espoir de réaliser des gains en capital rapides et massifs, bref de faire fortune" ?

Il est temps de s’interroger sur les réelles ambitions de nos dirigeants en ce qui concerne les tristes perspectives qu’ils nous préparent en ce moment sur le site dévasté de L’Aquila, ruiné par le tremblement de terre qui a sévi en avril dernier dans le massif des Abruzzes. La vision de ces joyaux de la civilisation renaissante italienne ébranlés par un cataclysme naturel les a-t-il tous plongés dans une spéculation méphistophélique pour nous destiner tous à scruter un horizon dépourvu de toute perspective de progrès social ?