Michel Rocard ne croit pas à la relance

Michel Rocard ne croit pas à la relance

L’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard publie cet après-midi des réflexions sur les perspectives économiques qui vont à contre sens des objectifs de la mission que lui a confiée Nicolas Sarkozy au sujet d’un futur emprunt national.

Stupéfiante tribune libre que le quotidien vespéral que le monde nous envie accorde à l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard, qui, avec son homologue Alain Juppé (UMP), a été nommé pour présider une commission chargée de réfléchir à l’utilisation du futur emprunt national, qui sera lancé début 2010. Intitulé "Les Européens ont voté pour que la crise continue", cet article assez conforme au pessimisme actif de cette personnalité singulière de la vie politique française, dresse un constat très sombres des sorties de crise éventuelles.

Nicolas Sarkozy reçoit les anciens chefs de gouvernement Alain Juppé et Michel Rocard lundi à 19H00, précise un communiqué de l’Élysée. La prose du second doit paraître dans l’édition de mardi du journal Le Monde, disponible dès la fin de l’après-midi de la veille dans les kiosques de la capitale, et mise à disposition quelques heures plus tôt encore aux différents centres de décision français… Est-ce à dire que Michel Rocard souhaite dès à présent s’exonérer d’un échec éventuel dans la mise en pratique de cette idée lancée par le chef de l’État devant le Congrès réuni à Versailles le 22 juin dernier ?

"Une reprise économique n’est donc guère probable à court-moyen terme", présente avec amertume l’ancien Premier ministre de François Mitterrand du 10 mai 1988 au 15 mai 1991, sous l’égide duquel un certain nombre d’innovations sociales a permis d’installer la société française dans la précarité … "La sortie de crise suppose, après le redémarrage par l’investissement, de retrouver un mécanisme liant les salaires aux gains de productivité", écrit-il, tout en estimant que "le pronostic devient celui d’une stabilisation entre 5% et 10% en dessous du niveau de production atteint précédemment, puis d’une croissance à peu près nulle ou extrêmement lente pour les trois ou quatre prochaines années".

À quoi cela sert-il de demander aux citoyens et contribuables français un nouvel effort en matière d’épargne si celui-ci ne leur présente aucune chance de sortir enfin de l’ornière ? Michel Rocard suggère en effet que sa nouvelle mission au service du pays est vouée à l’échec : "Les classes moyennes supérieures des pays développés sont en train de renoncer à l’espoir d’arriver à l’aisance par le travail au profit de l’espoir de réaliser des gains en capital rapides et massifs, bref de faire fortune". D’un autre côté, les catégories sociales défavorisées ou frappées de plein fouet par un chômage à la fois persistant et galvanisé s’installent dans l’assistanat et la pauvreté. À qui la faute ?

Michel Rocard dresse un constat sans concession d’un système qu’il a lui-même contribué à pérenniser : "Toutes les économies développées atteignent depuis plus d’une quinzaine d’années des pourcentages de travailleurs précaires compris entre 15% et 20%. Les précaires consomment aussi peu qu’ils le peuvent. Partout, la crise récente a encore aggravé leur nombre". Alors que les actionnaires réclament des revenus toujours égaux et garantis pour leurs investissements, à hauteur de 15%, "En une trentaine d’années, donc lentement, la part des salaires et des revenus de protection sociale dans les PIB respectifs a diminué d’entre 7% à 10%".

Cette analyse pertinente n’ouvre malheureusement pas la voie à une quelconque sortie de crise, désirée par tout le monde, y compris par les plus fervents et solides capitalistes. Michel Rocard fait crédit à Nicolas Sarkozy de favoriser la relance par l’investissement : "C’est par l’investissement que le cycle vertueux doit être réamorcé, et surtout par l’investissement dans les énergies renouvelables, les techniques et produits bio". Mais il s’inquiète de l’ambition à relancer un système fragile et qui repose sur l’avidité… "Cela veut dire mise à mal de la cohésion sociale, fragilité des gouvernements, montée du populisme" !

Cette commission présidée par Michel Rocard et Alain Juppé doit réfléchir aux "priorités justifiant un effort exceptionnel d’investissement afin de préparer l’avenir de la France", précise l’Élysée dans son communiqué. Mais, semble regretter l’homme d’État, "L’étrange atmosphère de sortie de crise, entretenue conjointement par les gouvernements, les banquiers et la presse, contribue grandement à minimiser l’importance des problèmes". Mettre des liquidités supplémentaires sur le marché ne paraissent pas pour lui la solution ultime pour résorber la crise économique.

Michel Rocard en appelle à un sursaut citoyen pour réformer le capitalisme, et de remettre à l’ordre du jour la valeur travail. "Dans la mesure où l’indicateur de crise est le marché du travail, la crise, c’est d’abord cela", assène-t-il. Pas sûr que Nicolas Sarkozy apprécie.