Nicolas Sarkozy poursuit l’ouverture à gauche

Nicolas Sarkozy poursuit l'ouverture à gauche

L’étrange interview de Nicolas Sarkozy publiée par Le Nouvel Obs. cette semaine a forcément provoqué une certaine hilarité parmi les observateurs de la vie politique française, quant au Leitmotiv repris par le chef de l’État sur le thème : "J’ai changé"… L’hebdomadaire de la Gauche caviar a bien fait la publicité de l’événement en racontant comment il a été arrangé, mais reste muet sur le choix du président de la République de s’adresser à ce magazine plutôt qu’à un autre.

La question, formulée en ces termes, donne l’air d’enfoncer des portes ouvertes, mais il est significatif de remarquer l’intérêt de Nicolas Sarkozy pour la tactique au moment où la recherche d’un second souffle présidentiel l’invite à élaborer une stratégie différente dans la seconde partie de son premier mandat à la magistrature suprême. En effet, Nicolas Sarkozy ne s’est pas adressé à son propre électorat pour établir un bilan de ses deux premières années passées au faîte du pouvoir, en énumérant les réformes entreprises et réalisées, celles qui restent à faire et celles qui sont restées en plan. Il choisit de s’adresser à un électorat viscéralement opposé à ses vues et surtout, à ses attitudes et à son comportement, pour le rallier à sa cause.

Beaucoup de gens sont surpris par le chemin de Canossa entrepris par le président de la République dans son dessein de séduction. "Est-ce de cela dont je suis le plus fier dans mon début de mandat ? Certainement pas", présente-t-il à l’adresse de Laurent Joffrin, directeur de la publication de Libération au sujet de sa pratique personnelle du pouvoir. "En tout état de cause, à partir du moment où quelque chose n’est pas compris et fait polémique, c’est une erreur", reconnaît-il à propos de la soirée organisée au Fouquet’s le soir de son élection à la présidence de la République. Ces aveux n’émeuvent personne, bien sûr, et prêtent quelquefois à rire.

Comme ce cri qui vient du cœur : "Je ne peux pas réagir comme un simple citoyen, y compris au Salon de l’Agriculture" ! Nicolas serait-il en train de découvrir la lune ? Il est bien trop intelligent pour nous le faire accroire… S’il fait amende honorable, c’est bien pour présenter aux citoyens français qui réprouvent son style autant que sa manière de gérer les grandes questions du moment de plates excuses. Que leur formulation vienne sur le thème du changement personnel à maintes reprises égrené dans tel discours leur octroie un je-ne-sais-quoi de frelaté. Mais Nicolas Sarkozy en profite pour tendre quelques perches à gauche, ce qui, ajouté à ses regrets, devrait en ravir plus d’un.

À propos des purges à France-Inter, le chef de l’État justifie son point de vue ainsi : "Je ne m’attaque à personne même si je considère que traiter sur le service public Mme Aubry de pot à tabac n’est pas respectueux de la dignité des personnes". Les gestes aimables à l’égard d’opposants politiques sont le privilège de la fonction de président de la République. Au-dessus des partis, Nicolas Sarkozy dispose d’un certain nombre de séides pour tirer à boulets rouges sur les socialistes, afin de lui laisser jouer le rôle de réconciliateur. Depuis sont arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de prôner la plus large unité nationale possible, une union qu’il a faire reprendre par François Fillon dès lors que la gravité du désastre financier a été prise à sa juste valeur.

Nicolas Sarkozy va continuer. "L’ouverture, Frédéric Mitterrand, la caractérise magnifiquement", plaide-t-il à bon droit. Et de donner cet avertissement à ceux qui ne l’ont pas compris : "La fin du secrétariat d’État aux Droits de l’Homme, ce n’est pas la fin des droits de l’homme, on l’a vu sur l’Iran où la France est à l’avant-garde. Bernard Kouchner a mis toute sa vie au service de cette juste cause". En rendant hommage à des figures emblématiques du camp adverse, et qui ont fait le choix de le rejoindre pour œuvrer au sein du gouvernement, Nicolas Sarkozy lance le message : l’ouverture ne fait que commencer, elle est inscrite dans la génétique de mon gouvernement !

Le récent remaniement ministériel a eu un goût de trop peu, en ce sens qu’il a été effectué dans la précipitation qui préside à l’inachèvement. Les élections européennes ont fourni à Nicolas Sarkozy l’occasion de donner un nouveau coup de boutoir aux centristes du MoDem, et de compléter le casting gouvernemental avec de beaux acteurs. Mais l’exécutif n’a pas touché aux ministères pourvoyeurs des crédits, où les silhouettes commencent à pâlir devant l’ampleur de la tâche. Christine Lagarde par exemple, qui a déjà remarquablement échoué au Commerce Extérieur au sein du gouvernement Villepin, n’a pas plus brillé à l’Économie en remplacement de Jean-Louis Borloo… Si quelques artifices cosmétiques ont bien été appliqués aux lacunes structurelles de notre pays, rien n’a fondamentalement changé en ce qui concerne les charges sociales, l’accès au crédit, etc.

Nicolas Sarkozy propose donc à l’électorat de gauche de cesser de se gaver de caviar pour œuvrer à un redressement national qu’il n’aurait de toute façon pas réalisé autrement. Et qui, mieux que Denis Olivennes, pouvait lui offrir cette tribune ?