Comment McDonald’s a bouffé la France

Comment McDonald's a bouffé la France

Dans un nouveau livre paru aux États-Unis : Au Revoir à tout ça : La cuisine, le vin, et le fin du fin de la France, le critique gastronomique Mike Steinberger fait le constat d’un déclin de la cuisine française pendant les dernières décennies. Un bilan vu du côté américain, d’autant plus effrayant qu’il explique comment les Français se sont fait flouer par ceux qui se prétendent les promoteurs d’un art de vivre et d’une exception culturelle pour se jeter sur les comptoirs de McDonald’s.

En premier lieu, Mike Steinberger garde un chien de sa chienne au fameux Guide Michelin, qui, au lieu de promouvoir la bonne chère et l’appétit pour les fromages, les vins, les produits du terroir et la cuisine raffinée, est devenue l’expression de la dictature des étoiles et un véritable carcan au cou des grands chefs du pays. Au lieu de s’adapter à l’évolution de la société française, aux prises avec le chômage et la baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes, le guide a concentré ses efforts sur l’élite, et certainement à l’attention des touristes étrangers, qui viennent essentiellement pour dépenser leurs devises.

Au Salon de l’Agriculture 2007, Mike Steinberger s’aperçoit que la France a changé en une vingtaine d’années : "La plupart des visiteurs sont des familles avec des enfants en bas âge. Elle forme un portrait saisissant de la France actuelle et multiculturelle : Bon nombre d’entre eux sont blancs, mais beaucoup d’autres sont d’ascendance africaine, des Caraïbes, et du Moyen-Orient. Le Hijab est presque aussi omniprésent que les casquettes de baseball et les espadrilles"… Pendant qu’il arpente les allées, délaissées au public par l’aréopage formé autour du président Jacques Chirac et de la cohorte des ministres et des candidats en pleine campagne pour les élections présidentielles, il s’aperçoit qu’aucune nourriture n’est proposée à la vente.

Au lieu de cela, McDonald’s a installé un stand immense pour attirer les visiteurs, en vantant ses produits issus du terroir français, le bœuf, la volaille, et les légumes par ailleurs disponibles dans les restaurants McDonald’s ! La chaîne de restauration rapide détaille la valeur nutritive de la nourriture qu’elle y sert, et décrit les pratiques respectueuses de l’environnement en vigueur dans la maison. Les slogans sont assortis d’une imagerie où les vaches, les pommes de terre le disputent aux gerbes de blé. "La terre, elle, ne ment pas", disait le Maréchal Pétain en d’autres temps !

En réalité, cette offensive marketing est destinée à faire oublier que tous ces produits appartiennent à une chaîne de prêt-à-manger américaine. Au Salon de l’Agriculture, le message de McDonald’s était que sa nourriture était française, qu’elle est bonne pour vous, et bonne pour l’environnement… Mike Steinberger affirme qu’il n’en a pas acheté, et on imagine qu’il en connaît toutes les saveurs, mais que le public en a été très friand. "Ces enfants ne se sont-ils pas rendus compte que McDonald’s était le cheval de Troie de la mondialisation et qu’ils commettaient une trahison culturelle", écrit-il : "Pourquoi leurs parents ne les ont-ils pas arrêtés" ?

Dans cette bataille identitaire, Jose Bové, le militant qui a vandalisé les McDonald’s en 1999 avant de concourir pour la magistrature suprême, a fait flop en recueillant à peine 1% des voix. Pendant qu’il s’époumonait, McDonald’s se fait fort d’entretenir 1.100 restaurants en France, trois cents de plus qu’au temps jadis où Jose Bové se faisait un devoir de les saccager. L’entreprise gave plus d’un million de personnes par jour en France, et le chiffre d’affaires annuel se développe à un rythme deux fois plus élevé qu’aux États-Unis. En 2007, la France est devenue le deuxième marché au monde en terme de profits pour McDonald’s, et il est seulement dépassé par les produits du sol qui servent à préparer les aliments de restauration rapide.

Le principal promoteur de la réussite de McDonald’s est Denis Hennequin, un parisien de 45 ans qui a rejoint l’entreprise en 1984, tout frais émoulu de la faculté de droit. McDonald’s se lançait en France à l’époque. Elle venait d’être échaudée par son distributeur français, trop peu regardant sur la qualité du service et des repas. En huit ans, Denis Hennequin, il a orienté la compagnie dans une croissance et une expansion absolues. La controverse autour de la malbouffe, au lieu de lui porter tort, lui a servi. À tel point qu’il se présente désormais comme le futur responsable de la marque dans le monde entier ! Un Français aux commandes de McDonald’s, voilà de quoi donner des sueurs froides à Mike Steinberger.

Loin de se démonter par les provocations de José Bové, le manager astucieux a forcé les agriculteurs français à reconnaître l’importance du volume d’affaires traité par McDonald’s. Profitant d’une TVA favorisant ses établissements, Denis Hennequin a drainé vers eux une clientèle au pouvoir d’achat dévalorisé, séduite également par le côté pratique de la vente à emporter : qu’il soit chômeur ou salarié, la clientèle de McDonald’s fait toujours partie des masses laborieuses… En jouant sur la fibre patriotique et la tendance écologique, le tour était joué !