La sensation délicieuse d’être nue sous son voile

La sensation délicieuse d'être nue sous son voile

Alors que 63 députés de toutes tendances ont fait part, mercredi, de leur volonté d’ouvrir une commission d’enquête parlementaire sur le port du voile intégral, le gouvernement se déclare favorable à durcir la législation en la matière, en dépit des sentiments partagés qui s’expriment parmi ses membres.

Hijâb, lithâm, tchador (en persan) ou burqah… La question des femmes voilées fait à nouveau débat dans le pays de la laïcité, moins de trois semaines après la réprobation de Barack Obama pour les pays qui s’engagent dans la répression à l’égard des signes ostensibles d’appartenance religieuse. En première ligne, la France, où l’Islam est la deuxième religion en terme de nombre de pratiquants, mais dont la tradition catholique a toujours invité la majorité des gens à regarder d’autres croyances de travers.

Au centre du problème, le choix que certaines femmes musulmanes expriment en revendiquant le port du voile intégral comme un signe de soumission délibérée à Dieu, ou la pression exercée par leurs proches — père, frères ou mari — pour les soustraire aux impudiques sollicitations du monde extérieur. Le voile n’est pas une obligation définie par les préceptes de l’Islam, il n’est pas inscrit dans le Coran et ne fait pas l’objet d’une recommandation spécifique du prophète. Seuls la prière et le jeûne sont réellement obligatoires. Le port du voile est la conséquence d’une interprétation des textes par les exégètes, et par la tradition qui l’ont perpétué.

La secrétaire d’État à la Ville Fadela Amara, s’est dite favorable à "l’interdiction totale de la burqa dans notre pays" et a demandé que le débat actuel "débouche sur une loi". Éric Besson fait entendre un autre son de cloche, estimant qu’"en France, nous sommes déjà allés très loin : vous ne pouvez pas, quand vous êtes fonctionnaire, vous voiler la tête dans les services publics, ni vous présenter avec un voile à l’école", a-t-il déclaré vendredi à la radio. "Le port de la burqa est contraire aux principes de liberté et d’égalité des sexes, mais constitue aussi un problème de sécurité : on ne sait pas à qui on s’adresse", fait valoir Jacques Myard, député-maire UMP de Maisons-Laffitte.

L’affaire est d’autant plus symbolique au moment où des citoyennes iraniennes s’insurgent contre l’obligation qui leur est faite de se conformer à un certain style de vie et d’apparence. Alors que la police religieuse pourchasse les femmes impudiques dans nombre de pays musulmans, les pouvoirs publics français donneraient l’ordre à la sienne de verbaliser celles qui le seraient trop… Curieux paradoxe au pays des droits de l’Homme ! Le choc des cultures, après une quarantaine d’années de mondialisation effrénée, aboutit donc de part et d’autre au durcissement des attitudes coutumières en réaction à celles qui nous sont présentées.

Car le voile intégral est bien un défi lancé par ces femmes qui souhaitent se démarquer d’un mode de vie occidental pourri par un consumérisme débridé, dont la conséquence est aussi la pornographie. Quand le sexe s’inscrit dans un échange de type marchand, il génère aussi un profit contre auquel beaucoup de musulmans refusent de se soumettre. La liberté sexuelle, et avec elle des attitudes et des comportements parfaitement inscrits dans une société où le lucre est un des ressorts de son accomplissement, est mal vue par la communauté musulmane.

"Le voile est une question de foi, pas de tradition", explique un imam : "il ne nous est pas imposé, le cœur seul nous commande de le porter". C’est ainsi que beaucoup de femmes musulmanes s’épanouissent à l’abri d’un voile, comme le recommande la sourate XXXIII, verset 59, du Coran : "Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de se couvrir de leur voile : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées". Soustraites aux regards concupiscents du monde extérieur, ces femmes acquièrent une liberté dont elles ne jouissent pas en sentant peser sur elles toutes les sollicitations parmi les plus équivoques.

Ainsi Fatima, qui s’est convertie à l’Islam après son mariage et vaque à ses occupations voilées dans cette cité de la banlieue parisienne où elle habite : "désormais, je puis ressentir la sensation délicieuse d’être nue sous mon voile", sans être reluquée par une nuée de mâles en rut et toujours à l’affût d’un bon coup à tirer… Le voile intégral, pour elle, est vécu comme un rempart aux agressions variées dont elle pourrait être victime, des incivilités qui ne prêtent pas à conséquence, comme d’un viol. Il signifie pour elle qu’en revêtant ce voile, elle s’entoure de la protection de Dieu pour vivre sa vie comme elle l’entend !

Étrange façon de voir les choses, qui dans notre culture occidentale s’est exprimée dans l’élaboration d’un érotisme où la beauté convoitée, à l’abri sous un voile, devient un fantasme irrépressible que la meurt seule a la faculté d’anéantir… "Les yeux verts m’avaient légèrement captivé, bien que le visage exquis caché par le voile blanc me fût encore inconnu", écrivait Pierre Loti en 1879 dans son roman Aziyadé : "j’étais repassé trois fois devant la mosquée aux cigognes, et l’heure s’en était allée sans que j’en eusse conscience".