5 Trucs pour les Nuls en Philo le Jour du Bac

5 Trucs pour les Nuls en Philo le Jour du Bac

Vous êtes 622.322 cette année à passer les épreuves du baccalauréat. La première est par tradition la philosophie, une matière casse-gueule dans la mesure où cette discipline est enseignée seulement en terminale et demande à manipuler des concepts un peu confus. Laurence Hansen-Love est blogueuse et professeur de philo pour des classes préparatoires. Le MAGue lui a demandé cinq trucs de dernière minute pour réussir l’épreuve de philo en dépit des plus grandes lacunes. Elle en présente les corrigés dès le début de l’après-midi sur le site Internet Le Web Pédagogique.

Le MAGue : 4 heures à plancher quand on n’a rien à dire, c’est dur ! A-t-on quelque intérêt à rester devant sa copie à chercher une sortie honorable ?

Laurence Hansen-Love : Avant de chercher une sortie, trouvez plutôt une entrée. La planche de salut ici c’est ce qu’on appelle une problématique. Quand vous avez un sujet, il faut trouver la contradiction cachée à l’intérieur, comme le lapin dans un dessin. Exemple : "À quoi sert la philo" ? C’est un piège, en fait : car la philo, ça ne peut pas servir, au sens d’obéir, ou d’être soumis ; il y a contradiction entre "servir" et "philosopher". Ou encore : "L’État est-il un mal nécessaire" ? Si l’État est une nécessité, alors ce n’est pas un mal ! Ou encore : "Peut-on se mettre à la place d’autrui" ? Autrui c’est celui qui n’occupe pas ma place, par définition ! Ou encore "La perception est-elle une science" ? et bien non, la perception c’est le contraire de la science (au premier abord)… Donc voilà le truc pour commencer : trouver une contradiction. Ensuite, vous développez en première partie la thèse qui exprime une approche naïve du sujet, et ensuite vous pesez le contre en antithèse : 1) L’État est mal, 2) Mais il est nécessaire, et en 3) S’il est nécessaire, finalement, c’est que ce n’est pas un mal… Ne partez jamais avant la fin ! En général le surveillant écrit sur la copie "parti à telle heure" et c’est du plus mauvais effet.

Le MAGue : Pour moi, Spinoza est un héros de bande dessinée qui lance des filets en haut des immeubles et grimpe aux murs comme une araignée… Ai-je une chance de m’en sortir ?

Laurence Hansen-Love : Araignée ? Pour Nietzsche aussi Spinoza est un tisseur d’araignées. Le saviez-vous ? Probablement non. Mais quel rapport entre Spinoza et une araignée ? C’est extrêmement simple : Spinoza a écrit un livre qui s’appelle l’Éthique dans lequel il enveloppe le monde dans une immense toile conceptuelle, ainsi il enserre toutes choses dans les mailles de ses théorèmes… Hume, pour sa part, compare Dieu à une grosse araignée qui a produit le monde non à partir de rien mais à partir de la substance (gluante ?) de son ventre (Dans Dialogue sur la Religion naturelle). Et Francis Bacon lui aussi comparait le rationaliste (Spinoza par exemple) à une araignée, mais il lui préférait l’abeille qui grappille à partir du réel pour fabriquer sa ruche. Cohn-Bendit utilise aussi cette métaphore dans son livre Que faire ? Il préfère lui aussi l’abeille pour promouvoir ce qu’il appelle la "société pollen". Donc oui, Spinoza et certains philosophes sont des araignées ou des abeilles, mais ils ne grimpent pas aux murs.

Le MAGue : La philosophie est l’amour de la sagesse et je suis plutôt du genre "déconneur" : comment concilier les extrêmes le jour du bac ?

Laurence Hansen-Love : C’est parfaitement compatible. Les philosophes ont été parfois des déconneurs graves. Comme Diogène qui crachait à la tête de l’empereur Alexandre, ou qui se masturbait en public, ou encore aujourd’hui comme Michel Onfray, qui recommande de faire pareil à la récré dans l’Anti-manuel de Philosophie. On pourrait citer aussi Socrate qui était plein de fantaisie et d’insolence, ou Rousseau qui disait que l’"on aurait dû punir le premier homme qui portait des chaussures"… Mais si les philosophes sont souvent des excentriques, tous les excentriques et les déconneurs ne sont pas philosophes. Pour le jour du bac, mieux vaut jouer le jeu et arrêter de déconner un moment. Faites un devoir court et soigné. La présentation et l’orthographe… Séparez bien vos trois parties, concluez chaque partie par un récapitulatif court. Un devoir très succinct, mais clair, bien composé, avec des conclusions bien explicites, peut vous valoir une note moyenne, et même plus.

Le MAGue : Ai-je une chance de faire illusion en argumentant sur des cas pratiques et des exemples tirés de la vie courante ? Comment m’y prendre pour mettre la question posée en relation avec des choses concrètes ?

Laurence Hansen-Love : Non, vous ne cherchez pas à "faire illusion" ! Demandez-vous plutôt : comment utiliser ma propre culture dans un devoir de philo ? Retenez simplement ceci : vous pouvez parler de tout ce que vous voulez (ma libido, mes rêves, mon opinion sur le téléchargement illégal, la victoire des écolos, etc.) pourvu que vous proposiez toujours un commentaire critique, ou, sinon critique, du moins personnel avec un peu de recul sur ce dont vous parlez. Autrement dit : proposer une approche d’ordre philosophique. Un devoir ne doit jamais être seulement anecdotique, ou seulement "journalistique". Vous devez montrer d’une manière ou d’une autre, que vous avez un point de vue sur ce dont vous parlez. C’est toute la différence entre la simple opinion — redoutable ici — et la réflexion — recommandée !

Le MAGue : Pouvez-vous nous indiquer une ou deux citations fourre-tout pour faire un effet bœuf quel que soit le sujet proposé ?

Laurence Hansen-Love : Une citation n’a aucun intérêt si elle ne vient pas à propos. Fuyez les citations passe-partout comme la peste. Nous avons préparé un Quiz sur Le Web Pédagogique où vous pouvez contrôler vos connaissances en ce qui concerne les phrases les plus célèbres des grands philosophes. Employez avec modération et circonspection celles qui vous ont frappé au cours de vos lectures et dans l’actualité… Mais prudence, car vous risquez le hors sujet tout en vous embarquant pour des terres inconnues. Par exemple, si vous utilisez un slogan, comme "travailler plus pour gagner plus" dans une question sur le travail ou sur la démonstration, ne vous engagez pas sur le terrain politique ! Expliquez plutôt la façon dont est construite la rhétorique de cet aphorisme, ou de l’utilité du travail dans la société… Bonne chance !

 

 


La tête est vide et sans un seul projet ; l’idée
A peine à se former dans le cerveau tout gris
Du pauvre élève au sein de regards rabougris
Frémissant tel un arbre accablé sous l’ondée.

C’est le supplice au fond de la règle obsédée
Qui tend la performance aux esprits amaigris
Pour façonner des gens aux sentiments aigris
Tant la sagesse en tout commerce est éludée !

Il convient tout de même en ces temps égarés
De s’y prendre avec force aux cours accélérés
Prodigués tous les jours par la fleur amoindrie.

L’amour de la sagesse a bien moins d’effet là
Où cet homme entretient sa prunelle attendrie
Pour de forts gains d’argent et pour la tombola.