Les syndicats peuvent aller se rhabiller le samedi

Les syndicats peuvent aller se rhabiller le samedi

150.000 personnes dans la rue selon la CGT samedi 13 juin, et 71.000 selon la police… La mobilisation syndicale, en dépit du beau temps qui incite les gens à sortir, n’a pas été à la hauteur des attentes des centrales. Quelles solutions pour les luttes sociales ?

François Fillon parle d’"une sortie de crise" avant de se reprendre… Dominique Strauss-Kahn considère que "nous devons rester très prudents, la reprise est faible, de nombreuses actions doivent encore être réalisées, l’impact social va encore durer", ce qui signifie une aggravation de la situation de l’emploi en dépit des signes annonciateurs de la croissance claironnés un peu partout dans la presse. Malgré la hausse du chômage et la succession des conflits sociaux dans le pays, les salariés n’ont pas suivi l’appel à la mobilisation syndicale pour une manifestation unitaire et nationale samedi 13 juin.

Malgré une impression de lassitude, les organisations espéraient mobiliser presque autant que 1er mai, lorsque 450.000 personnes avaient manifesté selon le ministère de l’Intérieur et 1,2 million d’après la CGT. Or, selon cette centrale, 150.000 personnes au total ont manifesté samedi, tandis que le ministère de l’Intérieur en a dénombré 71.000. Les cortèges ont partout reflué, surtout à Paris, ce qui n’a fait qu’accentuer le clivage apparu avec Force ouvrière (FO), qui plaide de longue date pour une journée de grève et non la poursuite de vains défilés.

L’idée de défiler pendant le week-end peut d’abord paraître saugrenue. Mais la pression sociale est devenue si forte dans le secteur privé que les confédérations se sont demandées si des salariés peu enclins à prendre une journée sur leur temps de travail pouvaient être plus favorables à des rassemblements organisés pendant les jours de congé… Ce n’est vraisemblablement pas le cas, et Jean-Claude Mailly, le leader de Force Ouvrière, l’échec de la journée de samedi montre bien qu’il y a "un doute sur les modalités d’action". Dans un communiqué, la CGT a reproché à FO d’avoir contribué à "semer le doute sur la pertinence" de cette action par ses déclarations en faveur d’une grève.

Les revendications sociales exprimées à l’occasion d’un conflit social ont eu nettement plus de succès, comme ça s’est produit chez Continental, Caterpillar ou Molex au début de l’année, ou la semaine dernière chez Good Year. Mais force est de constater que les syndicats ne parviennent pas à mobiliser les gens hors de leur champ d’action : à Rennes, les manifestants n’étaient qu’un millier et se sont contentés d’un sit-in. À Lille, la police a dénombré 1.800 manifestants et la police 5.000. À Strasbourg, la manifestation intersyndicale a réuni 1.000 personnes, soit quatre à cinq fois moins que la manifestation du 1er mai. Au Creusot, ville ouvrière s’il en est, 200 personnes seulement sont descendues dans la rue. Dans le cadre d’un plan social, manifester son opposition relève déjà de l’action désespérée. Sur le plan interprofessionnel et sous la houlette des confédérations nationales, les gens ont semble-t-il du mal à se sentir concernés.

Pourtant, un sondage réalisé après la journée d’action du 19 mars, 60% des Français ont une bonne image des syndicats et seulement 14% font preuve d’hostilité à leur égard. Le climat économique morose et les tensions sociales grandissantes participent par ailleurs à les revaloriser, car, pour 80% des sondés, le rôle des syndicats apparaît comme encore plus nécessaire en temps de crise. En particulier pour sauvegarder les emplois et veiller au maintien des bonnes conditions de travail… Mais 54% des sondés estiment qu’ils ne font pas le poids contre le gouvernement et 44% pensent qu’ils ne sont pas capables d’instaurer un dialogue avec les chefs d’entreprise. Plus grave encore : 63,2% estiment qu’ils sont en perte de vitesse.

La crise n’est-elle pas assez forte ? Il semble que les entreprises ne rechignent devant aucun stratagème pour tirer profit de la situation économique. À Molsheim, Osram, filiale de Siemens, envisage de licencier 108 salariés de son usine parce qu’ils refusent une baisse de salaire jugée nécessaire pour assurer la compétitivité du site, font savoir la direction et Force Ouvrière. L’usine, qui produit 450 millions d’ampoules à incandescence par an, est confrontée à la fin programmée, d’ici 2012, de ce produit gros consommateur d’énergie, et à la concurrence des pays à bas coût. "L’entreprise envisage la rupture du contrat de travail pour 108 collaborateurs qui ont refusé l’avenant au contrat de travail", lit-on sur un document soumis au comité d’entreprise en préalable à l’ouverture d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Si les craintes ressenties par la plupart des salariés pour leur emploi sont bien réelles, elles ne trouvent pas forcément le temps pour s’exprimer. En semaine ou le samedi, les syndicats paraissent à bien des égards focalisés par des revendications catégorielles et les grandes centrales éprouvent beaucoup de difficultés à défendre le monde du travail dans un contexte très préoccupant. On observe non seulement l’atomisation des mobilisations, mais aussi la plus grande aptitude des gens à endurer les coups du chômage et de la précarité.