Coup d’état

Généralement, le roman historique est un genre un peu lourdaud qui permet à un auteur de cacher son absence de style derrière un florilège de descriptions, de dates, de noms, de faits sanglants et de trahisons subtiles. Ce qui donne un mauvais roman, car n’oublions pas la règle numéro un : un récit avec du style, du panache et une histoire moyenne vaudra toujours plus qu’une histoire extraordinaire servie par un analphabète.

Rien de tout cela ici, puisque le conteur, académicien de surcroît, est un maître es langue française, spécialiste du bourg, de la campagne, de notre chère province aux milles talents et au vocabulaire si particulier. Enfin un roman qui sent, qui piaille, qui bondit, qui vibre. Qui vit. Enfin de l’épique, du chambardement, du risque qui nous manque tant à la lecture de ces romans si parisiens que l’on peine à en finir un … Voici donc un livre qui aime la langue française et qui la sert avec magnificence.
Depuis "Le matin vient et aussi la nuit" j’étais resté sous le charme de la musicalité si rupestre de notre narrateur. La langue de Pierre Moinot est un étonnant mélange entre des mots d’hier et d’aujourd’hui, comme s’il voulait à la fois témoigner d’un patois qui s’évapore et conserver un pied dans le présent qui se meurt sous les coups des SMS et du franglais.

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Nous voici donc au lendemain du 2 décembre 1851. Le Prince-Président, qui n’est pas encore Napoléon III, vient de déchirer la Constitution de la République. Il prend le pouvoir. C’est un coup d’état qui ne dit pas son nom. Et la chasse aux sorcières est ouverte. En l’occurrence les républicains.
Dans un petit village des Deux-Sèvres, près de Niort, les vicissitudes de la capitale devraient passer au loin avec les vols de corbeaux. Mais Paul Méhus, vétérinaire de son état, est aussi un chef local des « Montagnards ». Il est prévenu dans la nuit par ses amis qu’il est sur la liste noire, la liste des hommes à abattre. Attiré dans un piège, il parviendra à s’en échapper mais, devenu gibier et blessé, il ne pourra trouver son salut que dans l’exil. Des hommes de petites conditions mais de grandes vertus l’aideront à gagner une terre d’accueil au cœur du Marais Poitevin. Là, dans l’altérité de son cœur, entre les délires de la fièvre et la convalescence qui s’étire, il va connaître derechef l’amour, parviendra à apaiser les tourments de son âme et puiser dans la Nature la force d’accomplir le dernier acte de bravoure de sa vie d’homme juste.

« Il tourna dans un chemin d’eau plus étroit bordé de vergnes qu’il appelait une conche, puis dans une autre, et d’un coup Méhus sentit qu’entrait en lui un grand silence peuplé de petits bruits lointains et du doux glissement de l’eau sous lui, la lumière mouillée de l’hiver, une paix d’autre monde. »
Que l’on partage avec lui dès le livre refermé, et que l’on savoure longtemps, longtemps …

Pierre Moinot
Coup d’Etat
Gallimard 2004
240 p.- 16,50 euros