Profession « Faussaire »

Profession « Faussaire »

Un reporter allemand de la presse écrite part à Beyrouth dans les années 80 pour rendre compte du conflit et est happé par sa vie extérieure qui le travaille de l’intérieur. Un pur chef d’œuvre incontournable de Volker Schlöndorff !

Comment la guerre civile au Liban avec pour personnage principal Beyrouth en janvier 1981, ville phare du Proche Orient, mais aussi le Berlin d’ « Allemagne année zéro » de Rossellini, tournés tous les deux en décor réel, évoquent « Ce que seraient nos villes au lendemain d’une troisième guerre mondiale » (Volker Schlöndorff).

Inspiré d’un roman de l’auteur Nicolas Born qui n’est demeuré que trois mois au Liban et décède en 1979, l’acteur Bruno Ganz endosse la peau de Georg Laschen journaliste allemand. Ce film difficile à tourner « mérite d’être filmé pour des raisons historiques par la superposition d’un roman d’une réalité et de l’histoire. Mais au fond, ce n’est pas plus dangereux que traverser une rue, quand le petit bonhomme vert est allumé. Le frisson, l’excitation vient du fait qu’on a une fiction, un roman allemand de Nicolas Born qui se superpose à un décor, à une réalité qui n’a rien de fictif. ». (Volker Schlöndorff)

La réalité ne dépasse jamais la fiction. Les factions en présence : Arabes, Palestiniens, Syriens et les Phalanges se prêtent au jeu d’autant que les figurants jouent leur propre rôle et en plus ils sont payés ! Volker Schlöndorff a toujours opté pour une position très claire et son analyse du conflit nous remonte les bretelles et explique le malaise existentiel de Bruno Ganz : "Pour nous, il ne s’agit pas de prendre partie pour l’un ou l’autre camp. Mes sympathies en ce sens sont claires. Le véritable engagement consiste bien plus à sortir de RFA, à sortir d’Europe pour aller faire des films de part le monde. De part le monde, ce n’est pas Hollywood où tout n’est qu’apparence, c’est utiliser la chance du cinéma allemand pour établir un lien entre ce qui ce qui arrive en RFA et ce qui arrive dans le monde".

"Pour moi le roman Le Faussaire ne raconte pas l’histoire d’un journaliste qui peine à écrire, ça n’est pas un intellectuel en pleine crise. C’est simplement la crise existentielle nord-sud : pendant que le monde tombe en ruine — au sens littéral comme ici — nous continuons à vivre avec nos besoins mesquins, de sécurité, de confort, et nous nous fermons au monde. C’est quand il en prend conscience — ce Laschen interprété par Bruno Ganz — que les pépins commencent. Il n’a plus envie de retourner à Hambourg et il veut essayer de devenir arabe ici. C’est une tentative impossible, car nous ne pouvons pas plus fuir notre identité d’allemands que les Arabes peuvent fuir la leur".

"Ça a aussi peu de sens pour nous de devenir arabes que pour les Arabes d’essayer de devenir européens. Ca conduit ici à une rupture. Ce que je veux dire c’est que le conflit qu’on endure au Liban vient du fait que ce pays a énormément essayé de s’occidentaliser, de devenir une espèce de mélange de Suisse et de Californie. En conséquence, il a perdu son identité et s’est effondré. C’est vraiment ce qui arrive dans le Tiers-monde quand on essaye d’imposer de force l’Europe et l’Amérique en matière d’architecture, de boisson, de nourriture ou de mode vestimentaire. Peut-être, est-ce un exemple du retour sur soi ?".

L’ethnopsychiatrie traite aussi du malaise des personnes qui ont perdu le cheminement du pont qu’ils on lancé pour aborder d’autres cultures. Un rapport ambigu s’instaure entre Hanna Schygulla, qui joue une employée de l’ambassade et Bruno Ganz. Sur le point de son retour, Hanna questionne Bruno : "Quand pars-tu, j’y pense tout le temps ?", ce dernier pataud rétorque à côté de la plaque : "Allemagne ça sonne si métallique, si tristounet, si obstiné". C’est Hanna qui a le mot de la fin : "Deviens arabe. Reste ici et deviens arabe comme moi". C’est à ce moment que Bruno Ganz prend conscience de la vraie réalité de ce pays et percevant le défit permanant d’Hanna, il saute le pas.

Comment dès lors assumer deux personnalités asymétriques ? Volker Schlöndorff n’a jamais renoncé à la difficulté, au contraire et il s’explique sur le rôle titre du « Faussaire » : "Je n’avais pas l’intention de faire un film clair. Je me laisse porter parce que je vois tous les jours. J’ai dans mon équipe des gens de toutes sortes qui sont d’ici et qui ont vécu ces évènements. C’est simplement, un regard qui nous renvoie : comment des Européens en tournage sont-ils perçus ? Sur notre clap, le titre est écrit en arabe. Ce n’est pas Le Faussaire, mais Le Faussaire dans le faussaire. Ça veut dire que nous sommes observés par ceux que nous montrons. C’est une façon de faire un film, qui naturellement, en principe, nous garantit d’obtenir un résultat intéressant".

Bravo à l’époustouflante interprétation de Bruno Ganz d’autant que "Sur le plan filmique, c’est un problème, car l’activité de cet homme est invisible et le rendre visible est assez compliqué" (Bruno Ganz).
N’oublions pas Jean Carmet, trafiquant d’influence et autres bectances et surtout comment ne pas succomber au charme naturel d’Hanna Schygulla ?

Profession "Faussaire" ou comment falsifier une réalité qui nous dépasse en tant que simples touristes des mots et des images aux pays des voyages et des conflits !

« Le Faussaire », Volker Schlöndorff, 1981 / Film : version originale multilingue avec sous-titre français / version française /Ecran 16 / 9 / format image : 1.66 – 25 mm resmasterisé en HD / 104 minutes, avec Bruno Ganz, Hanna Schygulla, Jean Carmet, Jerzy Sklolimowski, Gila Von Weitershausen

Making of : Volker Schlöndorff adapte « Le Faussaire », version originale allemande avec sous-titrage en français /Couleur / son dolby digital / mono
Prix : 19,99 euros / Distribué par Arte Editions (avril 2009)