À vous de juger : Fallait-il couper Bayrou au montage ?

À vous de juger : Fallait-il couper Bayrou au montage ?

François Bayrou s’est illustré jeudi soir à la télévision avec de basses accusations à l’égard de Daniel Cohn-Bendit en lui reprochant à mots couverts de justifier la pédophilie. De tels propos avaient-ils lieu d’être à une heure de grande écoute ? Ont-ils un rapport avec le sujet du débat ?

La classe politique est unanime aujourd’hui pour dénoncer le dérapage du président du MoDem à l’égard de la tête de liste écologiste en Ile-de-France. Michel Barnier a trouvé ça assez misérable que Bayrou attaque Cohn-Bendit de cette manière-là, misérable, a dit le ministre de l’Agriculture sur les écrans vendredi. À gauche, le socialiste Benoît Hamon a également dénoncé l’attitude de François Bayrou, qualifiant cet épisode de vraiment moche. Je n’appartiens pas à ce type d’hommes politiques, prêts à tout pour gratter une place sur l’échiquier, a-t-il déclaré à la radio : j’ai l’impression qu’il est allé très loin.

En effet, les listes de François Bayrou et de Daniel Cohn-Bendit sont au coude à coude dans les sondages. Juste avant le débat télévisé, les listes du MoDem enregistrent un léger recul de 0,5 point, à 12,5%, et se retrouvent au coude à coude avec celles d’Europe-Écologie, qui gagnent deux points, la plus forte progression, à 12%. François Bayrou a reconnu s’être énervé, poussé par ses concurrents à la surenchère : cela fait des mois que Daniel Cohn-Bendit m’insulte à longueur de meetings, y compris sur des sujets personnels et sensibles comme la religion, se promenant partout en disant "il a touché la Vierge", a expliqué le leader centriste, catholique pratiquant.

Vendredi matin, Daniel Cohn-Bendit s’excuse pour son comportement sur le plateau de l’émission politique : je m’excuse pour la méchanceté et je garde le contenu a déclaré l’ancien provocateur gauchiste vendredi matin, au micro de France Inter. L’émission s’est achevée dans une atmosphère surchauffée. Après l’enregistrement, François Bayrou a quitté le plateau sans dire un mot. Les participants les plus calmes — Martine Aubry, Xavier Bertrand et Olivier Besancenot — sont sortis du plateau atterrés.

Le débat politique À vous de juger s’est en effet déroulé en différé, les participants de s’étriper dans le champ des caméras hors de la vue des téléspectateurs. L’algarade a filtré dans la presse et sur Internet la veille au soir, donnant forcément l’eau à la bouche aux plus voyeurs d’entre eux. Pour autant, explique Daniel Cohn-Bendit le lendemain, le sujet, c’est l’Europe. Ceux qui rêvent de la présidence, ce n’est pas le 7 juin. Cet épisode malencontreux de l’émission devait-elle être absolument diffusée, ou n’aurait-il pas mieux valu couper au montage les insanités prononcées par les uns et les autres ? À vous de juger.

Je n’ai jamais vu ça, confie Arlette Chabot à l’hebdomadaire Le Point : c’est la culture banlieue qui entre dans le débat politique. Tous les coups sont permis, estime cette journaliste pourtant rompue depuis des décennies à l’animation de débats. Vendredi, plusieurs personnes mettent en cause la responsabilité de la responsable du service politique de la chaîne de service public dans ce dérapage malheureux. Jean-Luc Mélenchon, tête de liste du Front de Gauche aux élections européennes dans le Sud-Ouest, accuse Arlette Chabot d’avoir organisé le débat télévisé sur France2 de telle manière qu’il a tourné à la foire d’empoigne entre les 8 ténors invités.

Elle était comme une boule dans un flipper, a-t-il raconté après coup, jugeant sans doute que la journaliste est toute émoustillée d’avoir réussi un bon coup médiatique. Pour Bruno Roger-Petit, rédacteur en chef sur Le Post, il s’agit d’un coup monté : je pensais que le débat serait égal. Même dispositif pour tout le monde, égalité de traitement, de temps de parole... Hélas ! J’avais oublié que sur France2, on ne rigole pas avec la politique… Il raconte comment Arlette Chabot a distribué les rôles entre les différents invités, avant d’organiser une confrontation entre François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit :

Dès la veille, Bayrou avait fait savoir qu’il comptait bien se payer Cohn-Bendit et dénoncer sa supposée collusion avec le chef de l’Etat. Arlette Chabot et ses sbires ne pouvaient pas ne pas le savoir. Ce qui signifie qu’en organisant la table spéciale Bayrou-Cohn-Bendit, ils ont créé le théâtre où le pire ne pouvait que se produire. Ils se sont conduits comme les complices objectifs de Bayrou, écrit Bruno Roger-Petit. Au vu des réactions qui se sont exprimées après l’émission, pendant que les techniciens s’affairaient au montage, Arlette Chabot aurait pu nous éviter ce pénible incident.