Manifestation d’Étonnants Voyageurs à Saint-Malo

Manifestation d'Étonnants Voyageurs à Saint-Malo

Le festival Étonnants Voyageurs célèbre sa vingtième année d’existence sans interruption avec une logistique encore plus importante, mais sans toutefois prendre la grosse tête. Fidèle à son enracinement, Michel Le Bris fête son succès en modeste entrepreneur qui cherche à jeter les bases d’un développement durable. La littérature, en ce qui la concerne et pour une fois, ne connaît pas la crise à Saint-Malo.

Étonnant parcours que celui de Michel Le Bris. Directeur de La Cause du Peuple en 1970, avant d’être arrêté comme son prédécesseur, mais aujourd’hui officier des Arts et Lettres et chevalier de la Légion d’Honneur… Singulière réussite d’un écrivain régionaliste et universel tout à la fois, plus enclin à fréquenter les cénacles alternatifs que les dîners mondains, il rate de peu le prix Goncourt l’année dernière, mais trace son sillon avec la remarquable manifestation culturelle qu’il a portée à bout de bras depuis le début, et qui fête ses vingt ans aujourd’hui… en province !

Des Étonnants Voyageurs, Michel Le Bris est incontestablement l’un d’eux ! Son pari, — ouvrir la littérature française à tous les vents du monde, et qu’elle ose enfin s’affirmer aventureuse, voyageuse, tournée vers le monde, soucieuse de le dire — n’était pas gagné d’avance. Pourtant, une édition après l’autre, année après année, il y a à Saint-Malo, une curiosité du public et une atmosphère que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, résume Anne Guérand, chez Liana Levi. Quelque 200 invités, 500 heures de programmation du 30 mai au 1er juin, 60.000 visiteurs attendus et 850.000 € de budget.

Le festival des littératures du monde et de l’outre-monde, placé sous le signe de Stevenson et toujours hébergé dans la cité natale de Chateaubriand, rencontre provinciale devenue néanmoins le must pour bon nombre d’auteurs français, Étonnants Voyageurs a su faire le lien entre les écrivains et le public ailleurs que dans la capitale : voir des foules à 10 heures du matin se presser pour des auteurs qui ne figurent pas sur les listes de best-sellers, voilà qui donne vraiment l’envie de poursuivre ce métier, renchérit Anne Guérand. Éditeurs, libraires et visiteurs y trouvent chacun leur compte sous un frais soleil printanier à Saint-Malo.

Vingt années pendant lesquelles nous nous serons projetés à Missoula (Montana, USA) Dublin (Irlande), Sarajevo (Bosnie), Bamako (Mali), Port-au-Prince (Haïti), Haïfa (Israel), rassemblant de plus en plus d’écrivains, clame Michel Le Bris dans l’éditorial qu’il consacre à la 20ème édition du festival sur son site Internet. Il y fait cette année le bilan d’une initiative incongrue : le monde change, et avec lui aussi les supports de la fiction. Les séries : un phénomène à creuser. Où nous découvrons qu’elles sont le fait d’abord de scénaristes — et de scénaristes écrivains, David Simon, Georges Pelecanos, Dennis Lehane, etc. Que les plus populaires sont celles qui nous donnent à voir le monde d’aujourd’hui, un peu comme les romans-feuilletons du XIXème.

Et conclue que le public est demeuré fidèle à ce qui fait l’intérêt d’un bon ouvrage de fiction : l’invention, l’imaginaire, une histoire… Comme si de plus en plus d’auteurs osaient enfin prendre le monde à bras le corps, retrouvaient les puissances du récit, avaient de nouveau des histoires à raconter, écrit-il. Pour se livrer à une déclaration d’amour enflammée à une littérature qui aura peut-être retrouvé son unité — tout un programme ! à Saint-Malo. Y a-t-il lieu d’opposer littérature "vraie", "élitiste" et littératures "populaires" — sachant que la littérature s’est le plus souvent renouvelée par les marges ? Et d’ailleurs : les avant-gardes ont-elles inventé un seul procédé narratif nouveau, au fil de leur longue histoire ?

Depuis 2005, le festival, devenu le premier salon littéraire en France hors de Paris, se revendique du livre et du film. 150 projections sont au programme, parmi lesquelles des fictions et documentaires emmenant les spectateurs à l’écoute du monde. Le volet film fait cette année la part belle aux séries de télévision américaines. Avec des spectacles et même la possibilité de se mettre à la cuisine, les enfants, petits et grands, ont leur propre territoire, le festival jeunesse et bande dessinée. Ils pourront entre autres y retrouver des auteurs plébiscités comme Susie Morgenstern ou d’autres à découvrir comme Meg Rosoff. Sans oublier les auteurs et illustrateurs de bandes dessinées parmi lesquels le célèbre père de Philémon, Fred.

Michel Le Bris a donc gagné son pari haut la main, comme en Bourse, en prenant des positions à l’encontre des idées reçues et de celles de ses confrères. Il a appareillé en corsaire et se pose aujourd’hui comme amiral de la flotte. Gageons que vingt ans plus tard, les étonnants voyageurs seront encore plus nombreux que l’année précédente à goûter l’air du grand large de la littérature.

 

 


Ni cité d’exclusion — elle est d’ailleurs une île
Sur ses remparts assise et pourtant bien ailleurs,
Ni ville ouverte au ban et aux faux-monnayeurs
Saint-Malo se présente au monde un peu sénile.

Elle est bien exclue, elle aux lois du campanile,
Qui l’ont bien observée avec ces yeux railleurs,
Fière, elle est à l’écart de tous nos chamailleurs
Mais son cœur à gros grain reste aussi juvénile.

Des flots noirs de la mer elle a l’œil ombrageux
Et tranche avec sa morgue un col aux partageux
Rougi d’un sang bien clair dans la cité corsaire !

La rapine est tout l’art dont elle a pour le moins,
Quand le livre est un mal plus du tout nécessaire
Mais reste aux écrivains le meilleur des témoins.