Barack Obama savait-il aussi pour la torture ?

Barack Obama savait-il aussi pour la torture ?

La question taraude bon nombre de citoyens américains : les démocrates ont-ils joué les oies blanches au Capitole, et Barack Obama, le premier d’entre eux, a-t-il trompé le corps électoral en couvrant les sévices pratiqués par les services secrets sur les terroristes présumés ?

Le scandale est à son comble aux États-Unis depuis que le directeur de la CIA s’est inscrit en faux par rapports aux dénégations de Nancy Pelosi. La présidente de la Chambre des Représentants a cherché à attaquer ses adversaires républicains en reprochant à l’administration précédente une pratique utilisée par la CIA pour ses interrogatoires. Le waterboarding, un simulacre de noyade utilisé pour obtenir des aveux des suspects de terrorisme en usage dans les services secrets depuis que Georges W. Bush en a formalisé la pratique, fait aujourd’hui l’objet d’un opprobre public, tant il rappelle les méthodes des dictatures.

Nancy Pelosi paraissait tomber des nues, et les républicains se sont empressés de lui rafraîchir la mémoire après sa diatribe contre l’administration républicaine. Porter Goss, un membre républicain de la commission de la chambre sur les services secrets, à laquelle elle a appartenu, a rappelé publiquement que des rapports leur ont été soumis sur les méthodes d’interrogatoire en usage, et que la pratique du waterboarding avait été employée. La semaine dernière, Leon E. Panetta démentait les déclarations de Nancy Pelosi, plaçant cette dernière dans une situation inconfortable.

Leon Panetta a indiqué vendredi dans une note au personnel de la CIA : permettez-moi d’être clair : il n’est pas dans notre politique ou dans nos habitudes de tromper le Congrès, a fait valoir le directeur de l’agence. Non que cela n’ait jamais été le cas, et loin s’en faut, mais il précise que des rapports de l’époque indiquent à partir de septembre 2002, que les dirigeants de la CIA ont donné des instructions claires en ce qui concerne l’interrogatoire d’Abu Zubaydah, incluant les techniques poussées qui ont été utilisées. Le suspect avait ainsi été soumis 83 fois au supplice de la baignoire… Le nouveau directeur de la CIA, nommé en janvier par Barack Obama, confirme en cela les déclarations du président de la commission de la chambre sur les services secrets, et désavoue une éminente représentante de son propre parti.

La controverse fait désordre dans l’opinion publique. En dehors du fait que Nancy Pelosi a été distinguée par la nouvelle administration, au point d’être présente à la tribune au moment de la déclaration d’investiture de Barack Obama, son notoire engagement contre la guerre et le renforcement du contingent américain en Irak fait passer la parlementaire pour une idéologue retorse et cynique. Le démenti de Leon Panetta fait beaucoup d’effet, parce que sa nomination à la tête de l’agence de renseignements américaine a été vivement critiquée en raison de son manque d’expérience en matière de services secrets. Par ailleurs, il s’agit d’un homme politique respecté.

Dans une certaine mesure, que les élus démocrates aient été au courant des pratiques abusives de la CIA dans les camps secrets et à Guantanamo n’est pas pour étonner. Par le passé, l’agence s’est illustrée — notamment au Chili et au Guatemala — par ses méthodes sinistres, qui ont finalement été rendues publiques. Bill Clinton s’en méfiait beaucoup au cours de son mandat, au point de l’avoir éclipsée complètement dans le processus de décision au sommet de l’État, et Leon Panetta fut son chef de cabinet à la Maison-Blanche de 1994 à 1997. En 2006, il fut l’un des membres de la commission Baker-Hamilton désignée par le Congrès pour fournir une appréciation indépendante sur la situation et sur la guerre en Irak.

Les récents atermoiements de Barack Obama pour faire toute la lumière sur les méthodes employées par l’administration républicaine pour sa lutte contre le terrorisme ne laissent pas d’inquiéter. Après avoir laissé faire paraître dans la presse des informations selon lesquelles des documents prouvant que la torture était en usage à Guantanamo et ailleurs allaient être diffusées prochainement, le président des États-Unis a fait machine arrière, avançant que ce serait contre-productif et dangereux pour les forces armées engagées sur le terrain.

Plus significatif encore, Barack Obama vient de nommer le général McChrystal à la tête du contingent américain en Afghanistan. Cet officier a été le patron des forces spéciales en Irak, celles qui ont mené la sale guerre contre Al Qaida. Il a dirigé une opération ultra-secrète et de grande ampleur pour éliminer les chefs terroristes en Irak et leurs soutiens. Certains de ses hommes auraient participé à des tortures sur leurs prisonniers. La publication des photos controversées aurait eu valeur de désaveu pour le général McChrystal. Enfin, le chef de l’exécutif à la Maison-Blanche a rassuré les hauts fonctionnaires qui se sont livrés à de telles pratiques, en ce sens que des poursuites ne seraient pas engagées à leur encontre.

Plusieurs chefs d’État, de par le monde, ont cherché à privilégier la cohésion nationale au détriment de la transparence et de l’épuration des éléments toxiques agissant sous couvert d’ordres dérogeants aux valeurs de la nation. Mais Barack Obama ne serait pas placé dans l’urgence de prendre une telle décision, s’il ne souhaitait pas éviter d’éclabousser l’ensemble de la classe politique de son pays.