Arafat l’irréductible

Arafat, l’homme de l’ombre, l’homme aux sept vies, souvent blessé, jamais coulé, Abou Ammar pour les feddayin et les fans, Yasser Arafat pour le public. Terroriste ou homme d’état ? Combattant ou légende vivante ? Ce sont toutes ces vies que Arafat embrassa à la fois. Muni d’un charisme extraordinaire et d’une baraka incroyable, l’homme supervise la destinée de tout un peuple depuis plus de trente ans …

Trop long disent ses détracteurs. Mais on ne se débarrasse pas si facilement d’une légende vivante. Le Guevra palestinien tient à la fois du lion et du serpent, qui s’y frotte s’y pique …

Mais qui est-il ce diable d’Arafat, finalement ?
Fin stratège, Abou Ammar sait entretenir la légende, répondre comme un normand, évoquer des souvenirs en se trompant volontairement de dates. Il fallait donc un maître de l’introspection pour y voir un peu plus clair. Le journaliste et écrivain israélien livre une étonnante biographie du président palestinien.
Journaliste arabisant, Amnon Kapeliouk est une plume de renom, qui écrit depuis longtemps dans les colonnes du Monde et du Monde diplomatique, et qui a été grand reporter puis éditorialiste pour le quotidien israélien Yedioth Aharonoth.. Il s’est spécialisé dans le conflit israélo-arabe et notamment la question palestinienne. Car Kapeliouk est un sabra, né dans une Palestine où Juifs et Arabes cohabitaient et élevé dans une famille où son père recevait à la maison de nombreux amis arabes.
Electron libre, il n’a pas hésité à publier en Israël : "Sabra et Chatila : Enquête sur un massacre" (1982, traduit en neuf langues), "Hébron : Un massacre annoncé" (1994), "Rabin : Un assassinat politique" (1996). Autant dire qu’il a gagné en légitimité ce qu’il a perdu en amitiés politiques douteuses.

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Voici donc son nouveau pavé dans la mare, qui n’est pas un livre de plus sur Arafat mais un livre à part. Cette nouvelle biographie, après les très remarquées de Charles Saint-Prot (Jean Picollec) et de Christophe Boltanski (Grasset), toutes deux publiées en 1997, pose un regard humain sur "l’ennemi irréductible" et s’attache à l’intimité du personnage, car c’est dans les alcôves que se trame l’Histoire.
La légende d’Arafat débute, comme toute vie, par une controverse sur le lieu de sa naissance. Mais ce que l’on ignore c’est qu’il a passé une partie de son enfance à deux pas du mur des Lamentations et sa jeunesse en Egypte. Ces années d’apprentissage de la vie dans une Egypte tourmentée par le souffle révolutionnaire qui voyait les Frères musulmans et les officiers libres de Nasser lutter pour le pouvoir, expliquent peut-être qu’Arafat ait toujours cherché à concilier ces deux pôles contradictoires : islamisme et nationalisme arabe à connotation socialiste.

Parti faire fortune au Koweït, il fonde en 1959, le 10 octobre, le Fath, avec quelques amis fous de liberté et épris d’aventures, dont Hadj Amine, le mufti de Jérusalem, venu secrètement du Liban où il s’est exilé pour fuir la police de Nasser. Le "Mouvement national pour la libération de la Palestine", écrit en arabe donne les initiales HATAF, qui signifie "mort". Mais Arafat trouva très vite la solution : il suffisait d’inverser les lettres : FATAH. Et comme par magie la liaison se faisait avec le monde, dans le Coran Fatah désigne les portes que l’on ouvre pour trouver la gloire. On peut parler de fatah à propos de ses études, d’une action militaire, d’un mariage. Le fatah c’est ce qu’il y a de glorieux chez une personne, un groupe, un pays, une nation.

Mais Arafat est avant tout un félin, comme tout homme de l’ombre, il aura passé sa vie à échapper aux attentats, à briser les repères, à changer de chemin en cours de route. Et à perdre ses biographes… Amnon Kapeliouk n’aurait pu écrire tel livre sur Yasser Arafat, sans une étroite complicité entre les deux hommes.
Le Caire, Amman, Beyrouth (dans un parking souterrain secoué par les bombes), Tunis, Rome, Paris, Washington … près de deux cent conversations, entretiens, soirées passés aux côtés du Vieux, comme on l’appelle avec révérence à Ramallah, où le président de l’Autorité Palestinienne vit assiégé, revolver à la ceinture, dans un mimétisme qui le rapproche encore du Ché et de Castro, les deux derniers hommes d’état toujours habillé en treillis militaire.

Ce qui est passionnant dans cet ouvrage est l’ajout subtilement croisé de témoignages de Palestiniens et d’Israéliens (notamment plusieurs officiers des renseignements militaires). Auxquels viennent, pour ponctuer la trame historique, la présentation et l’analyse de nombreux documents.
Comme celui du général de Gaulle, qu’Arafat admire, magnifie à l’extrême.

Taxé d’avoir écrit une biographie trop favorable au leader arabe, Kapeliouk explique dans L’Express (lundi 16 février 2004) qu’il n’a fait que son travail de journaliste : « On ne peut nier ses qualités ni son pragmatisme exceptionnel. »
Et du côté des rumeurs de détournement de subventions européennes pour encourager le terrorisme, thèse chère à Ariel Sharon, Kapeliouk lui tord le cou, il est très clair à ce sujet : « Certains, comme Ariel Sharon, l’accusent, en particulier, d’utiliser les subventions de l’Union européenne pour financerle terrorisme. Pourtant, Chris Patten, le commissaire européen aux Relations extérieures, que je cite dans mon livre, affirme que l’argent alloué par Bruxelles aux Palestiniens est celui dont l’utilisation est la plus minutieusement contrôlée... »

Arafat est, et restera, quoi qu’on en pense, un personnage historique incontournable.
Doublement investi d’une cause politique et historique qui le dépasse, il est le symbole cathartique d’une nation en devenir, d’un peuple qui appelle à la reconnaissance à plus de justice.

Amnon Kapeliouk
Arafat l’irréductible
(Préface de Nelson Mandela)
Fayard 2004
552 p.- 24 euros
+ 24 pages de photographies et 3 cartes en couleurs.

Table des matières

Une enfance entre le Caire et Jérusalem
De la Nakba à la naissance du Fath
Libération !
Des bâtons de dynamite
L’ascension
Comme une tragédie grecque
Guerre des ombres et diplomatie
Des coups venus de Damas et du Caire
Au Liban, une guerre annoncée
Tunis, nouvelle terre d’asile
Intifada
Le temps des concessions
Du côté de Saddam
Les promesses d’Oslo
L’espoir
Les accords torpillés
Le diktat
La confrontation

Table des matières

Une enfance entre le Caire et Jérusalem
De la Nakba à la naissance du Fath
Libération !
Des bâtons de dynamite
L’ascension
Comme une tragédie grecque
Guerre des ombres et diplomatie
Des coups venus de Damas et du Caire
Au Liban, une guerre annoncée
Tunis, nouvelle terre d’asile
Intifada
Le temps des concessions
Du côté de Saddam
Les promesses d’Oslo
L’espoir
Les accords torpillés
Le diktat
La confrontation