Bernard Kouchner est-il toujours Ministre ?

Bernard Kouchner est-il toujours Ministre ?

Le ministre des Affaires étrangères a bien changé depuis qu’il a pris ses fonctions, voici deux ans. À l’enthousiasme succèdent les désillusions, et l’exaltation le cède au doute. Bernard Kouchner ne sait pas qui remportera son suffrage le 7 juin prochain.

Interrogés tour à tour ce week-end par les médias, ses collègues du gouvernement et ses nouveaux amis de la majorité présidentielle, tout comme l’ensemble du personnel politique, ont un avis différent sur la question. La réponse la plus amusante est celle de la tête de liste socialiste en Ile-de-France Harlem Désir, pour qui Bernard Kouchner fait penser à un concessionnaire qui hésiterait à vous accompagner dans la voiture qu’il vous vend. La plus réaliste est celle d’Alain Juppé, car quand on est membre du gouvernement, il y a un principe fondamental qui est la solidarité gouvernementale.

La soudaine indécision du ministre d’ouverture est surprenante pour deux raisons. Bernard Kouchner a en effet déclaré qu’il ne savait pas encore pour quelle liste il voterait le 7 juin et qu’il attendait de voir les programmes, dans un entretien au journal Le Parisien en France publié samedi. Ses déclarations parues dans la presse ne font pourtant pas exception à ce qu’on attend d’un personnage investi d’une mission universelle et souvent péremptoire. Les propos tenus dans le quotidien de la région parisienne laisse peu de place au doute quant aux convictions que l’homme essaie de mettre en œuvre au gouvernement : foi en une Europe unie, une Europe qui marche et qui rassure, c’est un atout essentiel pour nous tous.

Bernard Kouchner fait également appel à ses souvenirs pour regrette l’esprit partisan qui mine toute action gouvernementale : j’ai été député européen : c’est un exercice et une aventure formidables ! Au Parlement européen, il n’y a pas ce clivage droite-gauche automatique. Les majorités se construisent sujet par sujet, de façon parfois très étonnante. C’est un exercice démocratique unique au monde. Faut-il qu’il soit naïf au point d’ignorer qu’il s’agit d’une constante du débat public en France ? Ce n’est pourtant pas sa première participation à un gouvernement, mais notre ministre des Affaires étrangères paraît ne pas se souvenir de ses expériences passées : Je regrette les idées de Jacques Delors, qui étaient des idées de rassemblement quand il présidait la Commission européenne. Je regrette qu’il n’y ait pas d’unité nationale, de rêve commun, d’ambition commune.

L’avis le plus alambiqué au sujet de l’imprécision qu’il a montrée pour son vote aux élections qui devraient lui sembler les plus importantes est celui de Frédéric Lefèbvre : les doutes de Bernard Kouchner sont au contraire un cinglant désaveu du Parti socialiste de la part d’un homme qui n’a voté Sarkozy ni au 1er ni au 2ème tour de l’élection présidentielle, a rétorqué le porte-parole de l’UMP. Nous connaissons les déclarations à l’emporte-pièce du député des Hauts-de-Seine, mais nous pourrions lui faire observer que la liste qu’il soutient devrait se situer dans le droit-fil du travail de Bernard Kouchner au gouvernement, à moins qu’il n’y en ait point. D’autant plus qu’un secrétariat d’État aux Affaires européennes est placé sous sa responsabilité, où Jean-Pierre Jouyet officiait jusqu’à ce que la France ait remis la présidence de l’Europe à la République tchèque. Un homme avec lequel Bernard Kouchner pouvait avoir des atomes crochus.

Mais l’embarras du ministre des Affaires étrangères n’est pas seulement perceptible à propos de ses choix. Son action pour accélérer le transfert de Florence Cassez du Mexique en France est frappée au coin d’un imbroglio diplomatique duquel Bernard Kouchner a du mal à trouver la solution : pourrons-nous sortir de cette situation ? Je le pense, fait-il savoir à Thierry Lazaro, député du Nord, qui l’interrogeait au sujet de l’avancée des négociations. Mais aucune information précise ne permet d’envisager quoi que ce soit. Les difficultés de Bernard Kouchner ne sont pas nouvelles, et se mesurent à chaque pas plus grandes encore. La visite de Nicolas Sarkozy en Libye et les conditions offertes pour la libération des infirmières bulgares, l’échec d’un voyage en Birmanie après le passage d’un cyclone dévastateur, les dissensions avec les autorités chinoises à propos du Dalaï-Lama… Et cerise sur le gâteau, le désaveu apporté à Rama Yade pour un secrétariat aux Droits de l’Homme qu’il a lui-même créé lors du second gouvernement Rocard !

L’indécision de Bernard Kouchner mérite bien qu’on s’y arrête à quelques semaines d’élections pour lesquelles le ministre des Affaires étrangères devrait montrer plus d’entrain. Sinon, qui le ferait ? Certes, il considère que l’Europe, avec cette crise, on s’aperçoit que l’Union Européenne est une vraie protection. Mais c’est un peu court et c’est très discutable.

 

 


A-t-il le droit, ministre, ainsi d’avoir un doute,
Est-il même en mesure au moins d’être amical
Pour ses nouveaux amis s’il n’est point radical
Au point d’émettre un seul avis qui le dégoûte ?

L’homme est si coléreux des avis qu’il redoute
Pour cette charge où il se trouve un peu bancal
Qu’il nous semble affligé au bord de son bocal,
Mais chacun sait pour son parti ce que ça coûte.

C’est très dur d’être un traître au regard ambigu
Tandis qu’il faut montrer que l’esprit reste aigu,
Quel prompt soufflet pour sa politique étrangère.

Honneur, gloire et beauté pour un grand cabinet
Que nous ne voyons pas bien subir ce qu’il gère,
Ce beau gouvernement parfois n’est pas très net.