Eric Besson réforme la procédure de naturalisation

Eric Besson réforme la procédure de naturalisation

La procédure de naturalisation sera désormais confiée aux préfectures. Le ministre de l’Immigration, Eric Besson l’a annoncé lundi lors de son déplacement à Rezé, près de Nantes. Cette réforme qui s’inscrit dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) a été initiée par Brice Hortefeux, l’ex ministre de l’Immigration, au premier semestre 2008. Depuis, elle ne cesse de susciter de vives réactions.

La procédure de naturalisation avant la réforme

En France, la naturalisation peut être acquise par décret ou par mariage. Les demandes d’acquisition de la nationalité française sont dans une première phase, déposées à l’échelon préfectoral qui a plusieurs rôles : enregistrer, instruire les dossiers, rencontrer les demandeurs pour évaluer leur niveau de maîtrise de la langue française et émettre un avis. Puis c’est au tour de l’échelon ministériel d’intervenir puisque c’est à la sous - direction de l’accès à la nationalité, délocalisée à Rezé, près de Nantes, que revient la décision finale. Son rôle est principalement de veiller à « équilibrer les écarts d’appréciation entres les différentes préfectures ».


Quels changements avec la réforme ?

Après une période d’expérimentation dans 20 préfectures à partir d 1er janvier 2010, la procédure des naturalisations deviendra la compétence des préfectures. « Dorénavant — explique Eric Besson — « au lieu d’avoir une double instruction, nous n’aurons qu’une seule instruction (par les préfectures) et un contrôle au niveau central ». Ainsi, « il y aura séparation de l’instruction faites par les préfets, et de la mission de contrôle, de pilotage et d’harmonisation qui va relever de l’administration centrale de mon ministère ».

Ce transfert vers l’échelon préfectoral obéit selon le ministre à un double objectif. Primo, « réduire les délais pour les demandeurs ». Et secundo, « réaliser une économie pour l’Etat ».

La décision de naturalisation sera prise par décret du Premier ministre. Et dans le cas où la préfecture émet un avis défavorable, le demandeur pourra faire un recours au niveau de l’administration centrale.

Lors de la présentation de cette réforme, il a également été précisé que la déconcentration de la procédure de naturalisation se traduira par un décret.

Cette réforme suscite de vives critiques…

Pour très la grande majorité des opposants, la nouvelle procédure induit une différence de traitement et viendra systématiquement bafouer le principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

Pour le secrétaire du syndicat CGT dans l’administration chargée de l’accès à la nationalité française, avec cette réforme, « on va rompre l’égalité de traitement en confiant aux préfets les décisions d’octroi ou de refus » car « au lieu d’un endroit unique où on peut harmoniser pour une égalité de traitement, il va y avoir un éclatement en 101 lieux de décisions ».

La CFDT par la voix de son délégué Laurent Poiraud estime que « cette réforme qui n’a été soumise à aucune instance paritaire va amener de l’hétérogénéité dans les décisions. De plus, les délais d’obtention ne vont en rien améliorer les problèmes de délai se situant dans les préfectures et non à la sous - direction ».

Le Président du Front National, Jean-Marie Le Pen a critiqué ce transfert de compétences vers les préfectures en déclarant dans un communiqué que « la question n’est pas de savoir quelle institution régularise, ni dans quels délais, mais qui on naturalise ». Car de son point de vue, « il importe peu que l’on fasse des Français de papier au niveau de la préfecture ou au niveau du ministère ».

Pour SOS Racisme, cette réforme peut constituer « un risque important d’arbitraire, au bon vouloir de la préfecture qui examine la demande » et mener à « une rupture de l’égalité de traitement dû à tout administré ».

Pour sa part, Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice des étrangers à l’étranger plaide pour un traitement unique de la procédure car « le droit de la nationalité est extrêmement complexe ». C’est pourquoi, « il ne peut pas y avoir en France 95 manières différentes d’attribuer notre nationalité ».

L’historien Patrick Weil, spécialiste de l’histoire de l’immigration et de la nationalité a exprimé sa réaction quant à cette réforme en coordonnant une pétition signée par des chercheurs et universitaires tels que Alexis Spire, Etienne Balibar, Caroline Douki, Benjamin Stora, Catherine de Wenden et bien d’autres intellectuels français qui demandent au gouvernement de « renoncer à ce projet dangereux pour l’une des principales voies d’intégration à la société française et pour le principe d’égalité devant la loi ».

Lors d’une récente déclaration à l’AFP, Patrick Weil a déclaré que cette réforme « risque d’avoir des conséquences très graves pour les candidats à la naturalisation » car, elle constitue « une arnaque absolue » et « une atteinte au principe d’égalité ». « Un tel pouvoir régalien délégué aux préfets – poursuit-il - comporte naturellement un risque d’abus et de favoritisme politique. C’est pour cette raison que tous les grands pays démocratiques ont centralisé leurs procédures de naturalisation qui sont des procédures très complexes ».

Dans une interview accordée au journal Libération, l’historien donne des exemples concrets des possibles différences de traitement. « En Seine-et-Marne ou en Seine-Saint-Denis - explique-t-il - des départements à forte population immigrée, plus de 50% des demandes font l’objet d’une décision négative en préfecture. Dans les Landes ou l’Ariège, on a moins de 25% d’avis négatifs. On voit bien qu’avec cette réforme, on va aller vers plus d’arbitraire. « Cette réforme est faite pour sélectionner qui on veut naturaliser ou non, suivant des critères qu’on ose pas évoquer aujourd’hui, comme l’origine nationale ».

Malgré les critiques et les vives réactions, l’idée de cette réforme semble faire son chemin. Cependant, des questions se posent. Qu’en est-il des moyens en personnel, juridiques et de formation pour les agents des préfectures ? N’y a-t-il pas risque, comme l’expriment les signataires de la pétition de déléguer « le pouvoir de décider qui devient français à des agents dépourvus de compétence juridique nécessaire et davantage spécialisés dans le contrôle des étrangers » ?

Par ailleurs, cette réforme dont l’un des objectifs vise la réduction des délais des procédures, ne risque-t-elle pas plutôt d’avoir l’effet contraire, c’est-à-dire allonger le délai des demandes ?