Maurice Druon est mort comme un Roi Maudit

Maurice Druon est mort comme un Roi Maudit

L’homme de Lettres et d’épée s’est éteint mercredi sans avoir réussi à préserver l’usage ancestral de la langue française, et c’est à titre personnel que je reprendrai un combat perdu d’avance, en me souvenant qu’il en mena d’autres, bien plus périlleux, aux côtés par exemple de ses camarades cadets de l’école de cavalerie de Saumur, en 1940.

Pour la plupart d’entre nous, qui n’ont pas connu la guerre, ni même les vicissitudes de l’après-guerre, Maurice Druon demeure l’auteur d’un ouvrage en 7 volumes que nous n’avons eu ni le temps ni l’envie de lire, mais que nous avons eu le plaisir de voir — ou de revoir — à la télévision. Certainement, cette fresque épique et noire des passions humaines qui s’entre-déchiraient à la cour du roi juste à la fin de la guerre de Cent Ans nous a passionné.

Maurice Druon, homme de plume, était cependant un homme d’engagement avant tout. Il a traversé l’Espagne et le Portugal à pied pour rallier la France Libre en Angleterre, où, en compagnie de son oncle Joseph Kessel, il composa l’un des plus beaux chants de guerre et de désespoir que je connaisse : Le Chant des Partisans. C’est donc à la radio qu’il fait vraiment ses armes, où il anime l’émission Honneur et Patrie transmise par la BBC. Et ce ne fut que bien plus tard qu’il porte à nouveau l’épée, lorsqu’il est élu au 30ème fauteuil de l’Académie française, succédant à Georges Duhamel le 8 décembre 1966.

Longtemps, il a fait fi des fonctions électives, quand bien même il entra dans le gouvernement de Pierre Messmer en 1973. Il s’appuie alors sur ses succès littéraires et télévisuels pour asseoir sa légitimité politique, affirmant à Jean Mauriac : et puis, au fond, mes lecteurs ne sont-ils pas mes électeurs ? À l’époque, les déclarations abruptes trouvaient encore des langues suffisamment habiles pour lui répondre : logique qui donne l’Élysée à Guy Lux et Matignon à Zitrone, selon les mots de Maurice Clavel ! Ce n’est qu’au moment où les Français se sont détournés du gaullisme pour se tourner vers l’affairisme qu’il consent à recueillir les suffrages populaires, en 1978, à Paris.

Il n’en a pourtant pas fini de ferrailler, celui que les gauchistes ont nommé le clairon de la répression culturelle alors qu’il coupait allègrement les crédits dans les budgets des directeurs de théâtre subventionné, Maurice Druon enfourche le cheval de bataille de la défense de la langue française, en souhaitant lui conserver l’orthographe de Larousse et de Grévisse, et surtout conserver à sa propre autorité — l’Académie française, dont il est devenu Secrétaire perpétuel — le soin de décider pour le peuple de son bon usage. Il creuse ainsi entre la France et le Québec un fossé encore plus profond que l’Atlantique en se moquant des réformes entreprises dans la Belle Province pour la féminisation des noms de fonction.

Celle-ci affecte aux termes génériques, aux espèces vivantes notamment, le masculin ou le féminin sans grande logique, reconnaissons-le, écrivit-il un peu plus tard. Mais encore une fois tel est l’usage, un usage immémorial. Souris, grenouille, cigogne, sont du féminin. Une cigogne mâle reste une cigogne. Et l’on ne voit pas que La Fontaine eût écrit dans une fable Monsieur le souris. La bataille engagée fait rage en 1999, lorsqu’il s’en prend aux ministres du gouvernement Jospin qui ont demandé à se faire appeler Mme la Ministre.

Dans une lettre ouverte demeurée célèbre, il leur écrivit : elles ignorent sans doute ou ont oublié le projet de décret préparé naguère par madame Roudy, sur la féminisation des noms de titres et de fonctions, et qui sombra dans dans la risée sous le coup d’un arrêt de l’Académie rédigé par MM. Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss. Signatures incontestables. Nos confrères rappelaient que le genre dit masculin, en français, était le genre non marqué — un neutre en somme — et que la féminisation des termes, en l’occurrence, créant une catégorie dans une classe, n’avait qu’une valeur réductrice.

En cela, il rejoint les poètes classiques, attachés plus que les autres mortels à la stricte observance d’un français immuable, sans quoi toute prosodie deviendrait bancale d’un jour sur l’autre. En effet et selon ses propres termes, libre aussi aux autorités culturelles de de la Communauté française de Belgique, en mal de démagogie féministe, d’avoir publié un édit d’où il ressort qu’une femme entraîneur d’une équipe sportive s’appellerait désormais une entraîneuse, ou qu’une femme appartenant aux équipes de lutte contre les incendies deviendrait une pompière.

Mais quoi qu’il en advienne, des poètes comme des causes perdues, les conservateurs sont promis à la naphtaline, quand ce n’est pas au formol ! La langue, en perpétuelle évolution dans la bouche de ceux qui l’utilisent, est en train de changer, elle échappe toujours à ceux qui croient avoir sur elle un droit de propriété. Parce qu’en ce domaine plus qu’en tout autre, la propriété c’est le vol.