Piraterie maritime : 18 ans de gabegie en Somalie

Piraterie maritime : 18 ans de gabegie en Somalie

Un an jour pour jour après la libération des premières victimes de la piraterie maritime au large des côtes somaliennes, la France fait le deuil de l’un de ses compatriotes décédé au cours de l’opération des commandos marine décidée pour hâter la fin de la prise d’otages intervenue sur le voilier de croisière sur lequel il avait embarqué sa famille et deux amis.

La mort de Florent Lemaçon vendredi soulève l’indignation de l’ensemble de l’opinion publique : qu’allait-il faire dans cette galère ? Tout le monde sait à présent les dangers qu’il y a de s’aventurer dans cette région du monde, où malgré la présence d’une trentaine de bâtiments de guerre de la communauté internationale, rien n’est sous contrôle depuis 18 ans. Le ministre de la Défense Hervé Morin a demandé dimanche à la télévision aux Français qui auraient l’idée de s’aventurer dans l’Océan Indien au large de la Somalie d’y renoncer, en raison des risques de piraterie.

Je lance un appel, car ce n’est pas par hasard s’il y a 34 navires de guerre pour essayer de sécuriser cette zone, ce n’est pas par hasard s’il y a 243 otages dans cette zone immense, a-t-il poursuivi. Hervé Morin venait d’accueillir à l’aéroport de Villacoublay les quatre rescapés du Tanit dont Chloé Lemaçon et son fils Colin de 3 ans, libérés vendredi lors d’une opération militaire française qui s’est soldée par la mort du skipper, père de l’enfant. C’est l’occasion pour chacun de tourner avec stupéfaction le regard vers un territoire oublié de tous, en proie à la guerre civile depuis déjà une génération. Pourquoi rien n’est-il fait pour rétablir l’ordre et la paix dans ce pays ? Pourquoi les pays occidentaux se bornent-ils à envoyer des navires croiser au large des côtes, sans régler le problème politique une bonne fois pour toutes ?

Rien n’est simple ! L’actuel ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner se souvient du fiasco de l’opération humanitaire lancée en 1992, à laquelle il a participé. Si tel n’était pas le cas, les guignols ne se lassent pas de le lui rappeler… En effet, c’est à cette occasion que le secrétaire d’État à l’Action humanitaire de l’époque s’est illustré en transportant sur le dos un sac de riz, dans le but de militer pour le droit d’ingérence. Car depuis que le dictateur local Siad Barre a jeté l’éponge le 26 janvier 1991, la guerre civile fait rage entre les diverses tribus qui gère un territoire grand de 637 657 km², semi-désertique et parmi les plus pauvres de la planète.

En décembre 1992, sous mandat de l’ONU, les États-Unis lancent une opération encadrée par l’armée, destinée à rendre l’espoir aux populations livrées à elles-mêmes. C’est la première intervention militaire menée au nom du droit international d’ingérence humanitaire. Mais les GI’s ne parviennent pas à pacifier un pays divisé, en proie aux luttes tribales. Le 3 octobre 1993, des forces spéciales (Rangers et Delta Force) des États-Unis arrêtèrent des proches de Mohamed Farrah Aidid, un des chefs de guerre qu’ils cherchaient à appréhender depuis août 1993, mais l’intervention tourne à la guérilla urbaine, et finalement au désastre : c’est la bataille de Mogadiscio, au cours de laquelle 18 soldats américains, un casque bleu malaisien, et près d’un millier de civils et miliciens somaliens sont tués. Les évènements d’octobre 1993 entre Aidid et les rangers américains ont inspiré en 2001 le film de Ridley Scott : La Chute du Faucon noir. Depuis cette affaire, les pays occidentaux ne veulent plus entendre parler de la Somalie.

De 1993 à 1995, l’ONU envoie une force de maintien de la paix mal acceptée par la population. Devant les pertes américaines après l’opération du 3 octobre 1993, Bill Clinton décide de retirer ses troupes, et l’ONU prend le relais. Impuissante à normaliser la situation, elle se retire définitivement en 1995. Le bilan humain pour l’ONU est de 151 casques bleus et 3 civils étrangers employés par les Nations-Unies tués lors de cette opération. Le 10 octobre 2004, les parlementaires somaliens réunis à Nairobi, capitale du Kenya, ont élu à la présidence un ancien militaire âgé de 70 ans, alors président de la partie septentrionale du territoire. Le 3 novembre suivant, toujours depuis Nairobi, le président nomme un chef de gouvernement avec pour mission de former une coalition avec les différents chefs de guerre du pays. Les institutions somaliennes siègent au Kenya par mesure de sécurité à l’égard de la situation intérieure de la Somalie. Les institutions en exil n’ont aucun contrôle sur le pays en dehors de certains quartiers de la capitale Mogadiscio.

Le terrain est alors laissé libre aux ambitions des pays voisins, l’Éthiopie et le Soudan, qui s’y livrent une lutte d’influence, car ni l’un ni l’autre ne bénéficie d’un accès à la mer. Appuyées par l’armée américaine, les forces armées éthiopiennes chassent les tribunaux islamiques en décembre 2006. Ceux-ci avaient pris le contrôle du pays à la faveur de l’anarchie politique régnante, et du soutien soudanais. Une aide alimentaire est distribuée sans aucune garantie, et elle attire la convoitise de tous ceux qui n’ont connu que la guerre : c’est par le pillage que certains essayent de se nourrir, a déclaré Rama Yade au retour d’une visite officielle en Éthiopie dimanche. Et ce n’est pas un hasard si les actes de piraterie maritime se produisent à la même époque de l’année, essentiellement à la saison des pluies…