2009, l’année Tintin ?

2009, l'année Tintin ?

A n’en pas douter si l’on considère ces deux événements majeurs : l’ouverture du Musée Hergé, à compter du 2 juin, à Louvain-la-Neuve, à une vingtaine de kilomètres de Bruxelles. Un bâtiment de 3600 mètres carrés, fruits du crayon génial de l’architecte français Christian de Portzamparc qui offrira au public deux expositions – une permanente et une tournante – dédiées à Tintin, ainsi que des expositions temporaires consacrées à de jeunes auteurs de BD, plus une librairie, une salle de projection et un restaurant.
Mais avant, la parution de ce roman champagne qui vous laissera un arrière goût amer, comme si, finalement, Tintin n’était pas qu’une simple BD pour adolescents mais bien un univers étrange. Pour vous en convaincre vous replongerez illico dans les albums d’Hergé …

Commençons par une généralité, car il y a toujours un fond de vrai dans une généralité, et cela sans populisme d’opérette ni philosophie de comptoir ; dans une généralité il y a le bon sens et le résultat d’observations répétées, voire du vécu pour ce qui nous concerne, Frédéric Grolleau et votre serviteur. Donc, allons-y, enfonçons la porte à moitié ouverte : les éditeurs se la pètent ! Voilà c’est dit. Une phrase qui corrobore celle de Michel Rio, rapportée il y a peu par un journaliste du Nouvel Obs ; Rio disait : "Un éditeur, ça dit oui ou non." et quand son ancien lui a demandé de faire plus long, il est parti …
Ce qui nous fait dire que les réponses alambiquées que Grolleau a reçues au sujet de son Tintin sont à ranger dans le panthéon du n’importe quoi : pour résumer, les plus grands éditeurs de Paris ont trouvé son livre remarquable, mais soit trop intelligent (sic), soit trop amusant, soit ceci et cela, enfin tout pour finir par refuser. Pensez donc, il y a les copains à publier, faut pas pousser mémé non plus, hé ! Discours identique pour les dits "petits" éditeurs de province qui sont bien aussi grands que les autres par les perles magnifiques qu’ils débusquent au coin des piles de manuscrits. Comme quoi, ils ne sont pas tous des chiens ; mais bon …
Tout cela pour en arriver à BoD, un éditeur allemand qui, une fois étudié votre manuscrit (histoire de s’assurer que ce n’est pas l’apologie du crime ou un appel à l’insurrection), vous ouvre une interface sur la Toile. Un fichier PDF plus tard voilà votre livre référencé sur Amazon et toutes une pléthore de fichiers dont les libraires raffolent … Y’a plus qu’à … Et surtout, la force de cet éditeur, c’est d’être dans le vent et d’une logique imparable : finies les impressions à la volée et les livres qui partent au pilon. BoD n’imprime qu’à la demande. Alors, oui, vous allez attendre huit jours l’arrivée du livre, soit chez votre libraire soit dans votre boîte aux lettres, mais qu’est-ce donc que huit jours comparés aux milliers d’arbres sauvés ?

Résumons : Gallimard, Denoël, Seuil et Grasset n’ont plus le monopole de la référence, des dizaines d’éditeurs sont partis de ces sociétés pour créer leur propre label. Désormais, l’on se moque bien de qui publie, ce que l’on veut savoir c’est si ce que l’on va acheter vaut le coup. À partir du moment où la qualité de fabrication est optimale l’on se penche donc sur le contenu.
Voyons alors de plus près ce que ce roman sur le célèbre reporter à la houppette cache comme trésors. Difficile pari que celui de rester sincère puisque la troisième partie s’est écrite dans ma propriété du sud de la France, et que j’y ai reconnu quelques clins d’œil bien marqué de la part de l’auteur …

Après, tintin … Et si il n’y avait pas d’après, justement ? Et si, après, tiens, c’était rien, nada, makache, ouste ! du balai ! circulez il n’y a rien à voir ! Et bien oui, l’expression populaire "faire tintin", c’est bien être privé de quelque chose, non ? Alors que, et c’est bien là qu’il y a un os, il y aurait beaucoup à dire. C’est pour cela que d’éminents intellectuels – ou tout le moins selon l’étiquette que certains s’autoproclament ou que des médias complaisants leur attribuent – ont osé s’emparer du sujet le transformant en phénomène de foire pour érudits du dimanche et promoteurs de spectacles qui y ont vu tout l’attrait mercantile d’une telle démarche. Oui, à bien y regarder, que ne savons-nous pas laisser en paix l’œuvre d’un mort plutôt que d’aller y chercher les poux en coupant en quatre les cheveux si particuliers d’une houpette mondialement célèbre ?
Manifestement c’en est trop pour le narrateur qui se saisit du problème par le bout de sa colère et entraîne avec lui deux comparses tout aussi intégristes que lui et bien calés dans la genèse de l’œuvre. On ne touche pas à Tintin, qu’on se le dise !

Vont alors l’apprendre à leurs dépens quelques signatures bien connus, d’Albert Algoud à Pierre Assouline (sans oublier Apostolidès, Tisseron, Peeters, etc.) : ils seront assassinés dans la plus pure tradition du crime rituel. On s’en lèche les babines de voir ainsi projetés dans la fiction des êtres de chair et de sang qui dépassent parfois les bornes dans la réalité et que l’on aimerait bien, au minimum, entartrer selon les règles de notre compère belge …
Un pari risqué que prend là Frédéric Grolleau, on devine déjà quelques grincheux frapper à la porte de l’éditeur ou à celle de l’écrivain qui, retranché sur son île, aura le mérite de les voir venir et pourra alors tenter une dernière manœuvre pour sauver sa peau, soit en prenant la fuite sur la Seine, soit en sabordant l’embarcation ennemie avant qu’elle ne vienne s’apponter en bas de chez lui …
Mais trêve de plaisanterie. Après, Tintin … n’est pas qu’une farce grossière qui tire des fils un peu trop voyants, c’est aussi une analyse fine et complexe du personnage Tintin et de ses implications dans le monde, de la manière dont on peut – doit ? – le lire et, dans la mesure où c’est tout de même, en tout premier lieu, une œuvre destinée au plaisir, de ce qui aura rendu si proche de nous ce diablotin de reporter, et de ce qui nous aura procurer tant de plaisir ...
A tel point que des dizaines de pastiches, de parodies et de pirates circulent, notamment sur la Toile, ou vous pouvez les acheter, histoire de prolonger le plaisir, bandes d’adolescents attardés que vous êtes … Mais que font donc les héritiers ?

Truffé de références, associant un quizz et des documents officiels, ce roman-essai s’élance parfois vers des sommets de la réflexion intellectuelle – normal, Grolleau est agrégé de philosophie – mais que cela ne rebute point le lecteur lambda, le dictionnaire est aussi un compagnon de voyage ; et que serait le plaisir de lecture sans un minium de choses à apprendre ?
Lisez ce livre, amis et nostalgiques de Tintin, vous ne le regardez plus du même œil, après …

Frédéric Grolleau, Après, Tintin …, BoD, mars 2009, 172 p. – 11,00 €