La Séquestration des Patrons légitimée par le Débat

La Séquestration des Patrons légitimée par le Débat

La compréhension que Ségolène Royal exprime à l’égard des salariés poussés à séquestrer le(s) dirigeant(s) de leur entreprise menacée de fermeture provoque à droite et à gauche un débat surprenant. En parler, c’est en quelque sorte en accepter l’éventualité. C’est un tournant dans les relations sociales.

Le Parisien publie ce matin le sondage qu’il a commandé à l’institut CSA pour savoir si les Français pouvaient accepter de telles pressions sur la direction des entreprises. Le résultat reste très partagé, 45% des sondés acceptant la méthode, 50% la réprouvant, et les 5% restant refusant de se prononcer. Dans la classe politique et les médias, la question fait débat : l’UMP a qualifié les déclarations de Ségolène Royal de tout simplement inadmissibles, par la voix de Xavier Bertrand, mais l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin préférant faire la différence entre comprendre, ou craindre qu’à un moment donné une violence ne monte, et la justifier, se montre plus compatissant envers le désarroi des salariés qu’au moment où il était aux affaires.

Longtemps, dans la société française, les mouvements sociaux ont été vus comme des atteintes aux biens et aux personnes, voire au seul contrat social qui prévalait au XIXème siècle, celui que deux personnes établissaient librement. Grève et manifestation de masse furent pendant longtemps hors la loi et réprimées durement. Dans le même temps, les socialistes révolutionnaires, parfois inspirés par le déterminisme marxiste, soulignaient l’inégalité entre l’employeur et son personnel, même pris dans son ensemble, et le rapport de sujétion qu’il implique demeure un principe du droit français : la subordination.

Dans ce cas, les mouvements sociaux ne pouvaient que dégénérer dans la violence. Le chômage induit par les apports technologiques de la révolution industrielle ont poussé les ouvriers remplacés par des machines à briser celles-ci au cours de violences bien plus grandes que celles qui s’exercent lors des conflits actuels. Le luddisme est d’ailleurs devenu une doctrine, que la maxime de Pierre-Joseph Proudhon la propriété c’est le vol pourrait sans trop d’erreur illustrer.

Aujourd’hui, le rapport à la violence est édulcoré, depuis que celle-ci s’exprime avec plus de retenue : Jean-Claude Mailly, Secrétaire Général de FO, a déclaré comprendre la séquestration des patrons à partir du moment où cela ne se fait pas dans la violence. Pour Vincent Peillon, elles sont souvent le prélude à des négociations. Dans notre société moderne, la violence est plus généralement vue à l’aune des incapacités de travail qu’elle engendre : mélanger les vraies violences avec des moments de tension qui sont regrettables, sans doute, mais qui n’ont pas de caractère, pour l’instant, de gravité, c’est pour François Bayrou mépriser l’expression de ces situations de crise.

Un mouvement social peut-il cependant s’exprimer sans violence ? Georges Sorel n’y croit pas. Le théoricien du syndicalisme révolutionnaire se refuse à voir dans la grève quelque chose d’analogue à une rupture temporaire de relations commerciales qui se produirait entre un épicier et son fournisseur de pruneaux, parce qu’ils ne pourraient s’entendre sur les prix, assène-t-il dans ses fameuses Réflexions sur la Violence, qui date il est vrai de 1908. De fait, notre contrat social actuel est toujours régi par le Code Napoléon, qui fait la part belle à la liberté individuelle. Encore aujourd’hui, séquestrer son patron, ou toute autre personne, est sévèrement puni par le Code Pénal :

Article 224-1 : Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à cette infraction.

Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, sauf dans les cas prévus par l’article 224-2.

Article 224-2 : L’infraction prévue à l’article 224-1 est punie de trente ans de réclusion criminelle lorsque la victime a subi une mutilation ou une infirmité permanente provoquée volontairement ou résultant soit des conditions de détention, soit d’une privation d’aliments ou de soins.

Elle est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle est précédée ou accompagnée de tortures ou d’actes de barbarie ou lorsqu’elle est suivie de la mort de la victime.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article.

Article 224-3 : L’infraction prévue par l’article 224-1 est punie de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elle est commise à l’égard de plusieurs personnes.

Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à cette infraction.

Toutefois, si la personne détenue ou séquestrée ou toutes les personnes détenues ou séquestrées sont libérées volontairement dans le délai prévu par le troisième alinéa de l’article 224-1, la peine est de dix ans d’emprisonnement, sauf si la victime ou l’une des victimes a subi l’une des atteintes à son intégrité physique mentionnées à l’article 224-2.

Mais le débat qui s’ouvre en ce moment, à la faveur des exactions commises à l’heure actuelle sous la pression des événements, est justement le signe que notre société est en train d’évoluer, de définir un nouveau partage des responsabilités entre les individus et les collectivités qui manifestent par de graves atteintes à la liberté individuelle de légitimes revendications.

 

 


Séquestrer son patron n’est pas de tradition,
Nous dit-on en niant aux lois de ce folklore
Pour tel infortuné qu’ils n’ont pu déjà clore
Tout le piquant vécu au moment de l’action.

Le patron séquestré reste encore en mission,
Et la conversation dans les murs peut éclore
Avec une anxiété dans les vapeurs de chlore
Qui s’exprime elle aussi prélude à l’éviction.

Tout le monde est sorti ravi dans une affaire
Qui clôt un personnel où l’enfermé s’enferre
Dans la tourmente avec du chômage à la clé.

Or, on n’a pas compris le plaisir qu’il retire,
Le personnel entier que l’opprobre a bouclé
Pour ce geste absolu tout l’éclat du martyre !