A-t-on le droit mettre en ligne tout ce qu’on veut ?

A-t-on le droit mettre en ligne tout ce qu'on veut ?

Une fois de plus, la police met son nez dans les rédactions. Une vidéo off du chef de l’État diffusée par le site d’informations Rue89 fait litige, et les journalistes ont été convoqués pour audition. Pour eux, l’affaire relève du droit à l’information : ils n’ont fait que leur travail. Pour France3, c’est du vol et la diffusion de l’interview de Nicolas Sarkozy sur Internet leur cause un grand préjudice. D’une manière ou d’une autre : a-t-on le droit de diffuser n’importe quel document tombé en notre possession ?

L’audition des 4 journalistes de Rue89 et de France3 mercredi par la police n’a pas été suivie d’une garde-à-vue. Ce ne fut pas le cas lorsque leur confrère Guillaume Dasquié fut interpellé en décembre 2007 dans une affaire intéressant la sûreté de l’État. Mais dans un cas comme dans l’autre, les policiers ont fait le maximum pour tirer les vers du nez des journalistes. Ce que la chaîne publique cherche à savoir depuis le mois de juin 2008, c’est le nom de l’employé qui a transmis le document litigieux à la concurrence. En effet, le document diffusé sur Internet est plus intéressant que celui que les téléspectateurs ont eu à voir, et c’est logique.

Pour Augustin Scalbert et Pierre Haski, pas question de divulguer l’identité de leur informateur ! Leurs confrères de la télévision, quant à eux, affirment ne rien savoir de cette histoire… Les policiers ont fait état d’une vidéo de surveillance attestant la présence sur les lieux d’Augustin Scalbert, qui se serait introduit dans les locaux de la chaîne par effraction. N’importe quoi, nous répond-t-on chez Rue89 ! D’ailleurs, il s’agit d’un signal vidéo qui est transmis à toutes les chaînes de télévision : nous aurions pu nous le procurer ailleurs que chez France3, nous fait-on finement observer.

Le parquet de Paris semble peu enthousiaste pour déclencher des poursuites. Je n’ai pas encore bien compris cette affaire, a déclaré mercredi à des journalistes un haut magistrat ayant souhaité garder l’anonymat. L’affaire a cependant des traits communs avec celle dont leur confrère Guillaume Dasquié a eu à connaître en 2006, sauf qu’elle intéresse moins la sécurité de l’État que l’amour-propre du chef de celui-ci… Dans un article du 11 juin 2007 du journal Le Monde, il présente un document des services secrets français, selon lesquels la DGSE avait prévu dès janvier 2001 qu’Al-Qaida s’en prendrait aux États-Unis en utilisant ses avions de ligne.

Arrêté, placé en garde-à-vue et mis en examen pour compromission du secret de la défense nationale, Guillaume Dasquié tergiverse et joue au plus fin : il donne des noms pour faire écran, tout en sauvegardant celui de sa source… Les jours suivants, il explique : l’équipe qui m’a entendu a été courtoise et professionnelle. En revanche, le sous-directeur de la DST et le substitut du procureur ont fait pression sur moi et c’est inadmissible. Les sources pour un journaliste, c’est comme la centrale d’achat pour un supermarché. Elles font la qualité des informations qu’il divulgue au public, et sa valeur sur le marché des pigistes. Elles se taisent soudain, et le journaliste peut s’inscrire au chômage. L’essentiel est donc de les protéger.

Pour Guillaume Dasquié, je crois que le problème de fond est que la fuite de ce document n’était pas organisée par les cabinets ministériels, qui orientent les révélations, offrant des scoops prédigérés aux médias. Ce document-là n’était pas destiné à être rendu public. Mais c’est justement notre travail de journaliste d’investigation de nous affranchir de ces petits réseaux ministériels qui tentent de nous instrumentaliser. De la même manière avec Augustin Scalbert et Pierre Haski, le off de France3 n’était pas destiné à être révélé au grand public. Les propos acerbes de Nicolas Sarkozy devaient rester dans la profession, à titre d’avertissement peut-être… Mais les journalistes de Rue89 ont violé les règles d’usage, et la chaîne publique en a pris ombrage.

Pour les coincer, elle a porté plainte pour vol recel et contrefaçon. La rédaction du site d’information estime qu’en se plaçant sur le terrain du droit d’auteur, France3 estime que les images lui appartiennent et que Rue89 aurait dû demander l’autorisation de les diffuser… Ce qu’ils n’ont évidemment pas fait ! Or, les journalistes incriminés estiment que le bénéfice qu’elle allait en retirer est nul, puisque les images n’étaient pas destinées à la diffusion. Preuve que la chaîne se fiche pas mal du produit du larcin de leurs confrères de Rue89 : les images sont toujours disponibles sur DailyMotion. Dans une tribune publiée dans Le Monde, Jean-François Téaldi, secrétaire général du syndicat SNJ-CGT à France Télévisions, parle de tentative d’intimidation.

Les journalistes de Rue89 vont-ils réussir à protéger leur source ? La loi protège davantage les journalistes en cas de perquisition qu’auparavant. Les perquisitions dans les agences de presse et au domicile des journalistes doivent être effectuées par un magistrat. Le journaliste peut s’opposer à la saisie d’un document. Votée en juin 2008 et présentée par Rachida Dati, elle complète la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de le presse en précisant que le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général. La justice ne pourra rechercher l’origine d’une information de presse que lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public l’impose, à titre exceptionnel, en cas de crime ou délit grave et si cela est absolument nécessaire à l’enquête. Le libellé est suffisamment flou pour donner lieu à toutes sortes d’appréciations, mais c’est désormais le juge qui les porte.

Rue89 a-t-il eu raison de pirater les caméras de France3 ? En définitive, le public est seul juge. Beaucoup d’affaires font du bruit en sortant, et plus personne ne s’en soucie quelque temps après. Ainsi, assigné en diffamation par le P-DG de TF1 Nonce Paolini, Patrick Poivre d’Arvor comparaissait mardi soir devant la 17ème chambre correctionnelle pour des propos tenus dans une interview accordée à la presse, où il s’élevait en juillet de l’année dernière contre le système de pointage en vigueur depuis peu dans l’entreprise avec laquelle il est en délicatesse. Ni l’accusé, ni le plaignant ne se sont déplacés à l’audience…