Vent de chicane autour du Vendée Globe

Vent de chicane autour du Vendée Globe

750.000 € : c’est la somme que réclame le sponsor de Vincent Riou à celui de Jean Le Cam pour l’avoir sauvé des eaux de l’Atlantique Sud dans la dernière ligne droite du Vendée Globe challenge. Les supporters sont outrés.

En 3ème position la course autour du monde, sans escale et sans assistance, Jean Le Cam fait état de gros problèmes en passant le cap Horn. Quelques heures plus tard, il déclenche sa balise de détresse et son premier poursuivant, Vincent Riou, se déroute afin de lui porter assistance. Lorsqu’il arrive sur les lieux le 6 janvier, il trouve le bateau de Jean Le Cam la quille en l’air, mais l’infortuné skipper est vivant à l’intérieur. Le sauvetage est difficile, et le marin doit s’y prendre à 4 reprises pour hisser le naufragé à son bord, dans une mer formée. Au passage, il accroche son voilier, qui subit une avarie majeure.

PRB, le sponsor de Vincent Riou, réclame à VM Matériaux 750.000 € pour la fortune de mer causée par l’accrochage avec le bateau de Jean Le Cam, et surtout les frais de rapatriement et de réparations du navire. C’est la première fois dans l’histoire du Vendée Globe qu’un sponsor réclame réparation pour un sauvetage, mais c’est aussi la première fois qu’un bateau d’un concurrent subit autant de dégâts dans le cadre du sauvetage, relève l’organisation.

Les deux concurrents vont donc se retrouver au tribunal pour débattre du bien-fondé de cette demande, où bien des gens voient l’expression de la cupidité de gestionnaires d’entreprise, pour qui la solidarité des gens de mer n’est pas l’usage. Dans le public, les internautes font valoir leur réprobation en postant des messages outrés sur les blogs et sur le site de PRB. Philippe de Villiers, président du Conseil général de Vendée, s’insurge contre la requête du plaignant, et fait savoir dans un communiqué : si l’action de PRB devait aboutir, cela mettrait en péril l’esprit du Vendée Globe et de la course au large, car cela laisserait entendre que Vincent Riou n’aurait pas dû porter secours à Jean Le Cam. Les conséquences seraient dramatiques, toute personne en mer devrait désormais y réfléchir à deux fois avant d’aller secourir un naufragé.

Le procédé reste inamical, bien sûr, mais les marins n’ont jamais fait fi des questions d’argent. Elles sont d’ailleurs au centre de toutes les interrogations qu’ils ont soumises aux juristes, ce qui a eu un fort impact dans l’émergence du droit international. Même chez les pirates, la répartition des parts de butin était très codifiée : il valait mieux songer au partage avant de se lancer à l’aventure ! D’une manière générale, un marin est un professionnel de la mer. Qu’il pêche, commerce ou transporte, il risque sa vie sur les océans pour de l’argent. Quoi qu’en pense Philippe de Villiers, les indemnisations en cas de sauvetage en mer sont très codifiées.

Pour la Direction générale des Douanes et Droits indirects, Les règles françaises d’organisation du secours, de la recherche et du sauvetage des personnes en détresse en mer reprennent les dispositions de la convention internationale signée à Hambourg en 1979. L’intervention peut être sollicitée par une autorité civile ou militaire ; elle est alors coordonnée par les CROSS. Souvent, elle est demandée par le bénéficiaire lui-même (fusée de détresse, message radio, etc.). Depuis 1994, un décret prévoit un dédommagement pour les opérations de remorquage, de dépannage et de transport au profit d’embarcations et engins privés en difficulté, selon un barème fixé par arrêté.

On se souvient peut-être de l’excellent film Remorque, où Jean Gabin sauve Michèle Morgan qui s’est jetée à l’eau depuis le pont du cargo de son mari, qui a refusé l’assistance du remorqueur parce que les frais lui paraissaient trop élevés pour sauver son propre navire… Le cas n’est pas seulement prétexte à fiction : le capitaine de l’Erika tarda tellement à demander secours, que toute intervention s’est avérée impossible pour sauver la cargaison lorsque les navires d’assistances sont arrivés. Selon la convention du 23 septembre 1910 pour l’unification de certaines règles en matière d’assistance et de sauvetage maritimes, tout fait d’assistance ou de sauvetage ayant eu un résultat utile donne lieu à une équitable rémunération. Les armateurs vivent en général un véritable dilemme lorsqu’ils sont prévenus d’une avarie grave à bord d’un de leurs navires marchands : sauver le coût du fret ou sauver le navire et l’équipage ? Bien souvent, le trafic maritime offre des marges dérisoires par rapport à la valeur de la marchandise transportée. Les prix en vigueur pour les sauvetages en mer apparaissent en proportion exorbitants.

Selon la convention de 1910, en aucun cas, la somme à payer ne peut dépasser la valeur des choses sauvées. Or, 750.000 €, c’est précisément la moitié du prix d’un 60 pieds open… Le prix que réclame PRB pour le sauvetage du bateau de Jean Le Cam. Et toujours dans les termes de cette convention internationale, le montant de la rémunération est fixé par la convention des parties et, à défaut, par le juge. Le législateur a bien compris que de nombreuses fortunes de mer devaient aboutir à un litige, et que la tentation est forte pour le sauveteur d’estimer à son avantage une intervention : toute convention d’assistance et de sauvetage passée au moment et sous l’influence du danger peut, à la requête de l’une des parties, être annulée ou modifiée par le juge, s’il estime que les conditions convenues ne sont pas équitable. En l’occurrence, c’est ce qui va se passer entre les propriétaires de ces bateaux de course !