20 millions de nuages sous les mers

20 millions de nuages sous les mers

Voici une rencontre artistique doublée d’une histoire d’amour. Paul Beaudoin et Lénaïck Planquois nous promènent dans leur tendre carnet de voyage.

Cela fait pas mal d’années que Paul Beaudoin présente ses improbables machines inutiles d’utilité publique dans toutes sortes d’endroits. En Normandie et au-delà, dans des cafés, dans des écoles, dans la rue… le poète mécano a exposé des bidules incongrus, des assemblages délirants, des bidouillages détonants, des recyclages inattendus.

Je me souviens d’une vieille chaise en bois croisée avec un pédalier, des chaînes et des roues de vélo. Un engin de fitness à faire pâlir Véronique et Davina. Je me souviens d’un canon à patate présenté dans une fête bretonne. Une artillerie à rendre jaloux les vétérans du FLB. La mise à feu se faisait en électrisant de la laque pour cheveux. Une petite pression sur un interrupteur et… boum. Dans le mille ! Je me souviens de la machine qui fait des pieds et des mains, un tambour de machine à laver découpé pour imprimer des empreintes énigmatiques sur les trottoirs. Je me souviens d’une machine à faire des ronds de fumée qui laissait babas des ingénieurs spécialisés dans l’étude des vortex...

Changement de décor avec l’installation 20 000 000 (millions) de nuages sous les mers présentée au Satellite Brindeau, au Havre. On y apprend que Paul a rencontré Lénaïck. Lui, mélange de Marcel Duchamp et de Gaston Lagaffe, a fait des études d’architecture. Elle, jeune comédienne à la Manicle, a fait l’École supérieure d’art du Havre. Une rencontre artistique et amoureuse qu’ils mettent en scène comme une sorte d’invitation au voyage. Pour les suivre, les tourtereaux nous offrent un vélo volant. La bicyclette est dotée d’ailes d’ange et d’un globe terrestre. En pédalant les ailes battent et la Terre tourne. Envol pour la plage de Taghazout. Huit grandes photos évoquent l’écume des jours heureux passés au Maroc. À côté, une voile gonflée dévoile une roue de vélo en ombre chinoise. Au centre, un « phare à mousse » pousse dans une lessiveuse en tôle. En fond, deux parapluies blancs s’ouvrent et se ferment comme des poumons essoufflés. Ils servent d’écran furtif à la respiration saccadée d’une poitrine nue.

En amorce, une vidéo revient sur une performance de Lénaïck. Cela se passait en 2008 lors du festival Whoopee ! Enfermée dans une structure conçue par Paul, elle badigeonnait des murs en plastique transparent avec un balai espagnol enduit de gouache rouge. Puis, elle entreprenait de tout nettoyer au jet… Et recommençait à barbouiller. Ici et là, on croise quelques pébrocs motorisés qui déploient leur vieille toile à la manière de grands oiseaux paresseux. Ces créations fétiches de Paul avaient ravi le public du Festival du Vent de Calvi comme celui du Centre d’Art et de Plaisanterie de Montbéliard. Des moteurs d’essuie-glace vissés sur des pédales actionnent les longs parapluies qui reposent sur trois pieds, de vraies chaussures farcies au béton pour brider les migrations sauvages.

Dans une cour, est garée une 404 noire garnie de coupes sportives et de guirlandes électriques. Clin d’œil à Radio 404 qui retransmettait en direct les minutes du vernissage. Dans ce qui pourrait être le grenier caché du Collège de Pataphysique, on peut également voir le prototype de la machine à faire courir un bruit. N’oublions pas non plus, réalisée par Paul et son complice Laurent Mortain, l’ébauche du Pianocktail, sublime instrument décrit par Boris Vian dans… L’Écume des jours. Piano droit, pédaliers, bonnes bouteilles et méli-mélo de câbles et de tuyaux semblent prêts à vous servir des cocktails accordés sur la musique que vous jouez. La boucle est bouclée ? Pas tout à fait.

Revenons à l’entrée du Satellite Brindeau. Invité par Paul et Lénaïck, le même Laurent Mortain présente une horloge sans cadran, une grande installation intégrant des cordes à piano, des contrepoids, une ampoule électrique, une chignole et une pince à linge. Inspiré des antiques « Ignatz flying ball clocks », le système a une autonomie de huit heures. Les cordes amplifiées réagissent aux chocs de l’ampoule volante en fin de course et à la curiosité des visiteurs qui sont obligés de passer à travers l’œuvre pour partager le temps suspendu du jeune couple.

« Pendant notre voyage amoureux, nous avons la tête dans les nuages et les pieds dans la mer. C’est pour ça que notre travail s’appelle 20 millions de nuages sous les mers », explique Lénaïck. Bon et long voyage à vous deux.

Paul Beaudoin & Lénaïck Planquois, exposition jusqu’au 8 mai au Satellite Brindeau 56, rue Gustave-Brindeau au Havre. Entrée libre. Tél : 02 35 24 04 04. Messagerie : satellitebrindeau@la-manicle.com

Pour contacter directement Paul et Lénaïck, écrivez a polux.b@gmail.com ou téléphonez au 06 86 00 62 97. Avis aux collectionneurs, Paul vend sa 404…