Les amours des femmes voilées dévoilées

Les amours des femmes voilées dévoilées

Même les filles voilées entretiennent des relations amoureuses. Le
constat est lourd de sens, car leur voile qui leur confère une
certaine identité et appartenance sociale, qui leur impose certaines
règles et codes de conduite, ne les empêche pas pour autant de se
laisser guider par le besoin très naturel d’aimer et de sentir aimées.

Qu’il leur soit imposé ou choisi par conviction, le voile ne les
dissuade pas de goûter au fruit défendu et de se permettre les mêmes
libertés que les jeunes femmes civilisées, terme de bien de chez
nous, utilisé pour qualifier les femmes non voilées.

Dans les cafétérias des universités, dans les jardins ou dans les
salons de thé des quartiers huppés de la capitale, elles sont partout.
Elles sont très féminines malgré un voile noué au tour du coup
couvrant leurs cheveux. En jean slim bien moulant, mettant en valeur
leurs généreuses courbes féminines ou en ensemble classique, laissant
dégager beaucoup de grâce et de sensualité, elles squattent les salons
de thé huppés de la capitale.

Nadia sourit timidement. L’étudiante en interprétariat, assise
aujourd’hui dans son café préféré, Club 54, situé à proximité de sa
faculté, déguste tranquillement un thé maison avant qu’il ne
refroidisse. Elle tire sur sa clope, joue avec son téléphone, en
attendant l’arrivée de son amoureux. Aujourd’hui, comme chaque lundi,
après son dernier cours programmé à 10H00, le couple amoureux se rend
au ciné, seul lieu où ils peuvent déguster des instants d’amour
magiques dans l’obscurité de la salle. Elle rajuste un peu son
foulard, saisi son miroir, remet un peu de rouge à lèvres avant de se
livrer à nous.

« Je porte le voile depuis l’âge de 13 ans, soit depuis
la survenue de mes premières règles. Ma mère est une femme très
religieuse. Elle a imposé à toutes mes sœurs le port du voile à la
puberté. Elle voulait nous protéger des loups humains, comme elle
qualifie les hommes. Je vis depuis avec un voile que je n’ai pas
choisi. J’ai subi des années durant ce voile, mais sans jamais
m’empêcher réellement de mener ma vie comme bon me semblait. J’ai même
compris qu’il m’offrait plus de liberté et que mes parents me
faisaient largement confiance. Depuis, je m’adonne à toutes les
libertés à l’extérieur de chez moi avant de rentrer à la maison et de
redevenir la bonne fille de famille qui fait la fierté des siens
 »,
confie-t-elle.

Pour cette jeune fille pour qui l’amour n’est plus cet univers
inconnu, le voile n’est qu’un trompe-ennemi, dit-elle, une manière
de conquérir la confiance de son entourage familial et de préserver
les apparences.

« Voilée ou pas, nous sommes des femmes avant tout ! »
Linda, fille voilée depuis 5 ans, étudiante à l’université d’Alger,
s’affiche au grand jour avec son copain. Main dans la main, elle ne se
contente pas uniquement des petits baisers innocents, mais réclame
plus d’étreinte intime. Pour ce faire, son copain et elle profitent
des clefs du studio de l’un de leur ami pour donner libre cours à
leurs instincts et se libérer des contraintes sociales. « C’est très
dur d’affronter le regard de ceux qui, comme aujourd’hui, me regardent
de travers parce que je fume une clope, ou parce que je fréquente un
garçon que je tiens par la main. J’ai perdu ma virginité dans un
moment de faiblesse avec mon cousin maternel dont je me croyais
amoureuse, mais j’ai refait mon hymen et depuis j’attends l’homme de
ma vie, sans trop me priver des plaisirs de l’amour. Voilée ou pas, je
suis quand même une femme
 », révèle-t-elle.

Sa copine, qui se trouvait pas loin d’elle en train de discuter avec
son ami dans le jardin de l’université, dira que le fait qu’elle porte
le voile ne l’empêche pas de se permettre quelques libertés, mais
qu’elle éprouve toujours un sentiment de culpabilité terrible à chaque
fois qu’elle fait l’amour avec son copain qu’elle fréquente depuis
deux ans. « Je me sens sale à chaque fois que je remets mon voile.
C’est peut-être superstitieux, mais j’ai l’impression que j’ai encore
plus de torts devant Dieu que les filles qui ne portent pas le voile.
Mais, je me dis que je l’ai porté contre mon gré et cela atténue mon
ressentiment
. »

Le hidjab : un pacte personnel Pour mettre le voile, il faut en être convaincue, car il représente
une tenue religieuse qui impose un code de conduite spécifique,
explique Houria. « Pourquoi adhérer au port du voile quand on n’est pas
convaincue ?
 » lance-t-elle. « Le hijab est avant tout un pacte
personnel, avec ses règles et ses principes
 », poursuit-elle.
Il est évident, de ce point de vue, de constater que plusieurs filles
ignorent tout de la conduite à tenir pour une fille voilée,
explique-t-elle. « Personnellement, je l’ai porté à l’âge de 30 ans,
soit après mon mariage. Mais, depuis, j’ai cessé d’aller à la plage,
d’écouter la musique, de serrer la main à des hommes, d’aller au
hammam. Je préfère l’appliquer à la lettre ou l’enlever carrément
 »,
ajoute-t-elle.
Pour plusieurs filles, enfreindre les règles imposées par la famille
et aller à l’encontre de la tenue vestimentaire portée est une manière
inconsciente de se venger contre la famille
« Chaque semaine, je prends un après-midi pour aller avec mon copain
squatter un appartement de l’un de nos amis. Je ne vous cache pas que
je vis ma vie normalement et je n’ai aucun mal à enlever le voile
quand je suis avec mon amoureux. A la fin, je suis une femme et je ne
voix pas pourquoi je me priverais d’amour. Et puis, les garçons de nos
jours réclament tous d’avoir des relations intimes avant le mariage
sinon ils vous laissent tomber. J’ai pas envie de rester veille fille

 », martèle Hind, 24 ans.

Les contradictions du port du voile

Pour la psychologue Mme Rabhi, les jeunes femmes voilées vivent un
véritablement tiraillement, entre leur féminité, leur désir d’être
aimée et les convenances sociales. « Certains adhèrent scrupuleusement
au port du voile, s’interdisant toute liberté et s’autocensurant
volontairement, tandis que d’autres mènent une double vie, la leur et
celle imposée par leur entourage », explique-t-elle.
De son côté, F. Selmi, sociologue, explique qu’il existe une
différence entre le port du voile et celui du foulard, accessoire
vestimentaire et religieux. Il y a aussi tellement de genres, entre le
hijab, le khimar, le niqab et le foulard, qu’il est difficile de
généraliser.

« Plus qu’une mode après la révolution iranienne, c’est l’emblème, même
si l’expression est un peu forte, d’une religion paganisée
 »,
explique-t-elle. Le constat dressé par la spécialiste l’amène à
définir le phénomène du foulard comme une adaptation du concept
religieux. « Ces filles-là vivent comme toutes les autres qui ne
portent pas le voile, avec leurs problèmes et leurs contradictions.
Même si on le met dans une cuirasse ou une armure, le corps est là,
les sensations sont là, l’essentiel est là
 », reprend-elle.

Le cinéma brise le tabou autour du voile
Amour voilé, le film marocain d’Aziz Salmi, est dans ce sens une
véritable illustration des amours des filles voilées. Le film qui a
soulevé un tollé dans le milieu conservateur marocain et provoqué la
colère de plusieurs islamistes relate l’histoire de Batoul, une jeune
femme médecin, voilée, qui découvre l’amour dans les bras de son amant
Hamza. La scène où la jeune femme se dénude, dans l’intimité de son
appartement cossu, enlève son voile, pour faire l’amour avec son
compagnon a suscité plusieurs polémiques.
Certains ont même vu en ce long métrage une atteinte à l’image du
voile dans le monde arabo-musulman. Or, était-ce réellement une
atteinte ?
« La réalité est qu’une femme reste une femme avec ses besoins
libidinales, son désir d’être admirée et aimée
 », stipule F. Rabhi,
sociologue.

« Chaque personne est responsable de sa conduite. Le problème dans
notre société est que les jeunes femmes ne s’assument pas. A mon sens,
une grande tranche d’entres elles portent le voile contre leur gré et
le fait de transgresser les interdits instaurés par cet habit et aller
à l’encontre des valeurs moralistes imposées par la famille est un
procédé inconscient
 », s’écrie-t-elle.

En effet, le voile, de l’avis de plusieurs observateurs, peut
dissimuler plusieurs choses. Sexe, amour, religion, frustrations,
effet de mode, ou rien du tout, il peut être pour la jeune femme un
trompe ennemi, pour fuir les pressions familiales, comme est le cas de
Zahra, étudiante en troisième année de médecine. Pour cette jeune
brune venue du sud du pays, son voile n’est qu’une manière de jouir de
plus de liberté, pour mener sa vie comme bon lui semble. Ses parents,
raconte-t-elle, sont des personnes extrêmement conservatrices. « Ils
sont capables de me tuer s’ils découvrent que je suis amoureuse. Mais,
ici, à Alger, je me permets toutes sortes de libertés. D’ailleurs,
avec mon copain, j’enlève ce voile qui m’empêche de vivre épanouie
 »,
témoigne-t-elle.

Elles sont nombreuses à défendre leur désir de mener librement leur
vie en dépit des valeurs sociales rigoureuses qui règnent au sein de
la société algérienne. Un équilibre dur à réaliser eu égard à la
difficulté de concilier entre leur besoin naturel d’amour et les
apparences qui doivent être prémunies pour ne pas porter atteinte à
l’honneur de la famille.

Pour conclure, il mérite de dire que les discours des filles voilées
qui s’adonnent à l’amour en toute clandestinité sont empreints de
culpabilité. Un sentiment résultant de la difficulté de voiler ses
désirs et ses instincts tout comme l’on voile son apparence.