Éric Holder en marge de La Princesse de Clèves

Éric Holder en marge de La Princesse de Clèves

Si la princesse de Clèves est une chimère pour notre président, alors Eric Holder le littérateur est un empêcheur de tourner en rond. Depuis son Médoc, il me confie ses tics et ses tocs d’écrivain et basta pour les incultes ! Il exulte par tous les pores de sa peau et l’encre coule de ses veines

Le Mague : Quel a été ton déclic de l’écriture ?

Eric Holder : C’est une vocation donc il n’y a pas eu de déclic. Ça correspond, comme les gamins veulent devenir aviateur ou même pompier, il me semblait qu’écrivain était paré de tous les attributs, tous les avantages. C’est vraiment une vocation. Quant tu as onze ans tu écris des choses. Donc pas de déclic. Un encouragement, à seize ans j’avais soumis un manuscrit à Christiane Rochefort. Elle lit le manuscrit, elle trouve une chose qui lui plait. Elle promet qu’elle l’enverra à un éditeur. Je ne me fais pas d’illusion. Je me doute qu’elle ne le fera pas. Un mois et demi plus tard je reçois un mot, d’un éditeur, manuscrit de Paris, André Bay chez Stock qui me dit (tu parles je m’en souviens par cœur) : « Il serait tentant de vous publier mais ce n’est pas possible. Trop jeune ? Trop court ? » Alors ça à seize ans, c’est la poignée de main de Zidane quant on est footballeur en minime.

Le Mague : Quels sont les auteurs qui t’ont toujours inspiré ?

Eric Holder : Au début il y avait Giono, Kerouac, Malraux. Ensuite très importante à dix-neuf ans c’est la lecture d’Henry Calet. A dix-neuf ans c’est le moment où je me demande ce que l’on peut encore écrire en littérature française après les écrivains fantastiques qu’il y a eu. Et je découvre qu’il y a eu d’occulté par les Mauriac, Malraux, Montherlant, des auteurs comme Calet le premier mais aussi Louis Guilloux, Raymond Guérin, des écrivains français pas du second rayon mais qui étaient connus que par peu de gens. Ils le sont un peu mieux maintenant, les rééditions Imaginaire en Gallimard ont fait beaucoup pour eux. Des maisons d’éditions s’y sont attachées. Ça c’était très important. Charles Albert Cingria aussi, des auteurs qui étaient plus confidentiels et très très intéressants aussi.

Le Mague : Quel est l’avenir de la littérature à l’heure où la toile tisse son zapping blues et qu’il est de plus en plus rare chez nos concitoyens de les voir respirer l’encre marine des senteurs du papier recyclé entre les pages ?

Eric Holder : Je ne pense que c’est de plus de en plus rare. Si le livre avait inventé au 21ème siècle ça aurait été une invention géniale ! Le livre est indéfendable. Ca fait depuis quinze ans qu’on entend parlé de ebook et de lecture sur internet. Ca ne touche que quelques personnes. Le livre est indétrônable. Pour l’heure je ne vois pas ce qui peut détrôner le livre, en tout cas pas l’ordinateur. Quant à la population de lecteurs, soyons clair, la population en général est exponentielle, donc nous avons toujours été peu de lecteurs, mais les lecteurs à proportion de la population aussi (sourire). Regarde, là en ce moment, numéro un au hit parade, c’est « Paris Brest » de Tanguy Viel aux éditions de Minuit. C’est un ouvrage de littérature. Ca ne tient que grâce au style. Un style d’ailleurs formidable. Ecoute, c’est pas la première fois que l’on voit ça, des ouvrages de littérature pure soient plébiscités par un public qui avoisine parfois les 300.000 lecteurs. On peut penser ce qu’on veut d’Anna Gavalda, mais c’est quelqu’un aussi qui a une passion pour la littérature. Ça se sent. Les dialogues d’Anna Gavalda, c’est formidable !

Le Mague : Comment définis-tu ton œuvre littéraire ?

Eric Holder : En marge. La nouvelle y joue une part importante. Ca c’est la leçon au final du monde d’Henry Calet dont je te parlais tout à l’heure. C’est le fait qu’on puisse dans des textes brefs aborder un peu la poésie. La poésie est devenue un domaine du sens. Elle est parfois difficile d’accès. Le miracle de la prose poétique de Baudelaire ! Et si des petits textes en prose pouvaient la susciter. Ce serait un parti pris de l’œuvre au-delà des romans.

Le Mague : « De loin on dirait une île », dans ton dernier ouvrage paru, la présence de la richesse de la langue avec ses intonations y tient une grande place. Tu peux nous en dire deux mots ?

Eric Holder : Ce qui est formidable pour un écrivain c’est de trouver en face justement de nouveaux mots. Certains mots ici remplacent des locutions entières. On dit par exemple pour la « droumidère » : pour une envie irrésistible de dormir. Beaucoup de mots nouveaux qui sont très justes comme issus des patois. Comme dans la région parisienne par exemple, j’apprenais ce qu’était une « siautée ». C’était le contenu d’un sceau. Des mots comme ça qui élargissent l’horizon. Ici il y a un très beau verbe. Plutôt que sentir on dit : « haleiner ». Et quand le vent haleine l’odeur de résine et de sel, pour un écrivain c’est vraiment formidable !

Le Mague : Le regretté Daniel Zimmermann racontait à ses étudiants sur les bancs de la fac de Vincennes à Saint-Denis du 93, qu’il était un stakhanoviste de l’écriture et qu’il s’obligeait à une discipline de fer pour pouvoir réussir à écrire avec des horaires au carré. Quel est ton rythme à toi ?

Eric Holder : Il est extrêmement aléatoire. Quand je dois écrire, j’écris. Je ne vais pas prétendre écrire beaucoup. Quand j’écris beaucoup ça atteint six heures par jour. Après quoi j’en ai assez et les mots perdent de leur consistance.

Le Mague : Ton inspiration d’écrivain s’est-elle modifiée depuis que tu as quitté la région parisienne pour t’installer dans le Médoc ?

Eric Holder : C’est toujours les paysages et les personnages qui la dictent, donc ce sont d’autres paysages, d’autres personnages. En cela elle ne s’est pas tellement modifiée.

Le Mague : Quelle est subjectivement ta plus grande qualité et quel est ton plus grand défaut d’écrivain ?

Eric Holder : Ma plus grande qualité c’est que je lime les phrases. Ca m’arrive de limer, limer, limer jusqu’à ce qu’elles fonctionnent bien. Mon plus grand défaut c’est de souvent parler de moi.

Le Mague : La penseuse active et poétesse Annie Lebrun se plaint du « Trop de réalité » qui comme un bourrage informatif, une espèce de censure par le gavage aboutit à un formatage des êtres dans leur corps, leur langage et leur intellect. Cette uniformisation des êtres et des choses, elle la considère comme un crime contre la vie sensible et l’imaginaire et se revendique d’un « Appel d’air ». Quel est ton appel d’air à toi ?

Eric Holder : Ah ! il est permanant. C’est justement des rencontres, des promenades, C’est la vie, la vie, la vie. Nous sommes au milieu de la nature. C’est donc un appel d’air. Il suffit de pousser la porte.

Le Mague : Quel souvenir gardes-tu de ton passage sur les ondes des « Papous dans la tête » sur France Culture ?

Eric Holder : Beaucoup de rires.

Le Mague : Et si c’était à refaire ton existence d’écrivain ?

Eric Holder : Un seul livre (sourire). Je ne sais pas lequel mais il n’y en aurait qu’un.

Et oui sur la photo, c’est bien lui et sa moto. Retrouvez Eric Holder le motard littérateur dans un prochain numéro de la revue Moto magazine. C’est le Bartos qui singera cette interview !

Dernier livre paru : « De loin on dirait une île » aux éditions le Dilettante (2008)