"Leur histoire d’amour est profonde et irrésistible"

"Leur histoire d'amour est profonde et irrésistible"

Dans "La Petite Robe de Paul", pièce de théâtre mise en scène par Frédéric Andrau et tirée du roman éponyme de Philippe Grimbert, les personnages font un voyage intérieur à la manière d’une analyse psychanalytique. Dans la petite robe qu’achète Paul un jour par impulsion se cache un secret que l’entente fondamentale du couple seule, saura révéler. Frédéric Andrau et Philippe Grimbert donnent ici aux lecteurs du journal Le MAGue quelques clés de leur réflexion sur les secrets de famille :

Thierry de Fages : Qu’est-ce qui vous a séduit dans le roman "La Petite Robe de Paul" de Philippe Grimbert ?

Frédéric Andrau : Le sens que Philippe donne au mot silence m’a bouleversé.

Thierry de Fages : Comment s’est déroulé le travail préparatoire de la pièce ?

Philippe Grimbert : Frédéric et moi nous nous sommes souvent rencontrés, il m’a expliqué sa conception du spectacle et il m’a tout à fait convaincu du bien-fondé de sa vision !

Frédéric Andrau : La première version de l’adaptation théâtrale de "La Petite Robe de Paul" m’a procuré l’envie de donner à Paul et Irène la possibilité de se confier à nous (public) tout en étant dans leur histoire... Nous avons découvert ce spectacle le jour où simultanément la mise en scène, la dernière version de l’adaptation (la pièce de théâtre qui est donnée à voir), la scénographie, les personnages, les lumières se sont rencontrés.

Thierry de Fages : Quelle spécificité possède "La Petite Robe de Paul" par rapport à "Un secret" ?

Philippe Grimbert : On pourrait presque dire que "La Petite Robe" est une autre version d’"Un secret", plus fictionnelle, où les thèmes qui me sont chers et si proches sont abordés avec une distance différente.

Frédéric Andrau : Le thème du secret est traité ici au travers d’une famille. On voit de quelle façon il se transmet de génération en génération tout en façonnant les individus. Certains ont appris à accepter le mensonge, d’autres, le silence jusqu’à en faire un art de vivre…

Thierry de Fages : Les comédiens de "La Petite Robe de Paul", notamment Valérie Gabriel (Irène) et Fabrice Moussy (Paul), paraissent visiblement habités par leur rôle. La dimension psychanalytique de la pièce a t-elle selon vous influé sur leur jeu ?

Philippe Grimbert : J’ai été saisi par leur engagement et bouleversé par leur jeu, je crois en effet que le voyage intérieur que font les deux personnages peut s’apparenter au trajet d’une analyse, qui va jusqu’au plus profond de l’intime de chacun d’eux, Valérie et Fabrice ont vraiment "joué le jeu" de cette exploration, au point, m’ont-ils avoué, d’en être profondément remués…

Frédéric Andrau : Est-ce qu’ils sont habités par leur rôle ou est-ce qu’ils habitent leur rôle ? À vouloir arracher les différentes couches de peau qui voilent leur passé, et distordent les souvenirs, les personnages mettent en danger leur histoire d’amour, se confrontent parfois à leurs propres racines ou à leur solitude. Ils ont mis toute leur tendresse à assumer ce voyage… ils se sont donnés sans pudeur et sans confort… les personnages ou les comédiens ?

Thierry de Fages : La discorde du couple semble l’élément le plus visible…

Philippe Grimbert : Je dirai davantage le fait de vivre dans deux univers fantasmatiques différents tout en se pensant proches, ce qui est, je le crains, notre lot à tous.

Frédéric Andrau : Leur histoire d’amour est profonde et irrésistible. Mais il y a un malentendu dans cette histoire… On peut se demander d’ailleurs s’il n’est pas désiré par le couple.

Thierry de Fages : Comme dans un thriller psychologique, l’on est confronté dans "La Petite Robe de Paul" à de nombreuses interprétations sur les personnalités de Paul et d’Irène…

Philippe Grimbert : J’ai volontairement laissé une grande place à l’imaginaire du spectateur qui est libre parfois d’interpréter les évènements à sa façon, sans que l’auteur le prenne par la main pour lui imposer sa vision.

Frédéric Andrau : Ils ont chacun deux visages et deux réalités qui s’entremêlent.

Thierry de Fages : Suicide, fausse couche, déportation… La naissance et la mort apparaissent comme des thèmes obsessionnels de la pièce…

Philippe Grimbert : … Et de la vie elle-même ! Nous sommes tous traversés par ces angoisses fondamentales, à partir desquelles nous bricolons des solutions pour tenir bon…

Thierry de Fages : Il y a une scène très curieuse, qui peut évoquer une mort bis, dans laquelle le personnage d’Olga demande à son fils, le jour de l’enterrement de son père, d’ensevelir une boîte…

Philippe Grimbert : J’aime cette idée d’une boîte à secrets, symbolique de ce que nous enfouissons au plus profond de nous-mêmes pour ne plus avoir à nous y confronter... mais qui finit toujours par être déterrée...

Frédéric Andrau : Oui la scène est insolite : même un jour d’enterrement le secret mène la danse...

Thierry de Fages : Non-dits, secrets, photos enterrées… La dimension cachée semble plutôt paroxystique dans cette Robe de Paul, minant l’existence même de Paul et Irène. Diriez-vous que c’est une pièce sur la frustration ?

Philippe Grimbert : Sur la frustration de ne pouvoir tout partager, sur les méfaits du silence et des non-dits, certainement. C’est une dimension qui nous concerne tous, car nous nous construisons autant sur ce qui est dit que sur ce qui est tu…

Frédéric Andrau : Plutôt une pièce sur le Secret et le dévoilement. Nous passons de la frustration à l’exaltation… Du silence à la liberté…

Thierry de Fages : Le personnage humoristique d’Edith, proche d’Irène et psychanalyste de formation, se profile un peu en retrait…

Philippe Grimbert : J’aime bien sortir le personnage du psy de son sérieux habituel, avoir un regard ironique sur ma propre profession, faire sourire sur les traits si souvent caricaturaux du praticien toujours prêt à interpréter, lui-même empêtré dans sa problématique…

Frédéric Andrau : Edith assiste à la reconstitution d’Irène, la suit dans la tourmente. Mais elle reste, malgré ses interventions et ses analyses, contemplative et perdue. Elle a ce côté clownesque de ne jamais se retrouver dans l’univers des autres, de ne pas avoir sa place ailleurs que sur le divan d’Irène. Une sorte d’Auguste maladroit et irrésistible…

Thierry de Fages : De tous les personnages de cette famille, Olga semble le seul à affronter sereinement le poids tragique de son histoire…

Philippe Grimbert : Le personnage de la mère m’intéresse dans la mesure où sa façade de bonne mère cache des abîmes d’indifférence ou de cruauté !

Frédéric Andrau : Olga, la mère de Paul, a un regard sur les autres rempli d’amusement et de sagesse. "Elle a le bleu regard qui ment". Elle dit ce qui agace, et provoque la colère. Elle est sûre de son impact et de son autorité. Ce personnage porte une scène, des plus drôles et des plus cruelles que je connaisse…

Thierry de Fages : Le personnage d’Agnès nous apparaît comme une figure de l’espoir mais aussi comme le dernier chaînon de cette fatalité familiale…

Philippe Grimbert : Agnès est l’héritière de cette histoire tragique et comme telle elle risque d’en subir les conséquences, voire de la répéter à son insu… c’est donc un personnage qui porte une lourde charge sur ses épaules et je voulais qu’elle en sorte le mieux possible, comme force de vie.

Frédéric Andrau : Ce personnage pose la question de la transmission. Il est fait d’innocence et de maturité. Sur quoi Agnès se construit-elle ? Au fond, c’est peut-être son histoire à elle qui est racontée dans "La Petite Robe de Paul"…

Thierry de Fages : Dans "Acte" Lars Norén décrivait une femme paroxystiquement enfermée dans un univers mental… Les personnages de "La Petite Robe de Paul" semblent, malgré leur souffrance, plus récupérables (!)

Philippe Grimbert : J’ai laissé là aussi une équivoque, que la mise en scène de Frédéric met en valeur : comment cette histoire se termine-t-elle vraiment ? Est-ce que la parole enfin libérée va les délivrer ou les condamner ? Au spectateur de répondre…

Frédéric Andrau : Peut-être parce qu’ils ne sont pas enfermés dans un univers mental. Il y a quelque chose d’animal, de fiévreux et d’érotique dans "La Petite Robe de Paul".

Thierry de Fages : Dans une scène de repas de famille, Paul s’avance seul sur la scène, s’adressant au public. C’est un moment étrange, à la fois par l’occupation de l’espace et le message délivré…

Philippe Grimbert : Paul exhume le secret de sa mère, devenu le sien, dans cette scène où Fabrice, bouleversant, prend conscience du drame qui a précédé sa venue au monde… il est dans une solitude terrible ; il tient entre ses mains la vérité de son histoire, pourra-t-il la partager avec ceux qu’il aime le plus ?…

Frédéric Andrau : Paul se confie à nous, un peu comme s’il nous parlait de l’intérieur de son rêve… Je préfère ne rien dire de plus pour ne pas trop en dévoiler…

Thierry de Fages : Pour conclure, s’il fallait résumer en trois mots "La Petite Robe de Paul"…

Philippe Grimbert : Ce qui est tu peut tuer… Il m’a fallu 6 mots !

Frédéric Andrau : ma petite sœur… ou Expérience de soi !

Romans de Philippe Grimbert :

La Petite Robe de Paul, éditions B. Grasset, 2001, 177 pages,

Un secret, éditions B.Grasset, 2004, 191 pages.

La petite Robe de Paul est jouée en ce moment à la Maison des Métallos.