Les Guignols ont le Monopole de la Caricature

Les Guignols ont le Monopole de la Caricature

Celui qui prétendait préférer l’excès de caricature à l’absence de caricature est servi tous les soirs, et même si les auteurs des Guignols de Canal+ se défendent de casser du Sarko à longueur d’émission, il est toujours plus facile et profitable de mettre les rieurs de son côté sans se poser la question de savoir à quelle cause sert la charge humoristique.

Bruno Gaccio a saisi l’occasion de la victoire de Nicolas Sarkozy pour jeter l’éponge. Savait-il qu’il s’engageait sur un terrain qu’il ne souhaitait pas fréquenter en forçant toujours le même trait ? Sans doute, et son talent lui a offert d’autres opportunités, qui lui ont permis de se mettre en conformité avec ses valeurs personnelles. Alain Duverne, qui a créé les marionnettes en 1988, déplore : quand on fait passer le chef de l’Etat pour un fasciste, je trouve ça abusé… Les Guignols occupent une place stratégique sur les écrans de télévision, qui les rend inattaquables et surtout, indélogeables.

Ce n’est pas seulement la qualité de la parodie qui a fait la longévité de l’émission. Les Guignols ont 20 ans, beaucoup finalement, souhaiteraient en reprendre pour autant d’années ! Pendant ce temps, des éclats de rire tous les soirs de la semaine, et une resucée le dimanche après-midi, quelques aigreurs de la part des personnes brocardée, mais bien peu de procès. La glose est très épaisse à propos de la difficulté de savoir jusqu’où l’on peut aller trop loin, mais en définitive, il reste assez facile de se moquer d’autrui sans être inquiété. D’une manière générale, un amuseur, parce qu’il est vulnérable, se met sous la protection des princes, puis du public qu’il amuse. Chacun de lui accorder un droit qu’il préempte, parce que c’est l’usage et la tradition.

Les Guignols sont aujourd’hui pour Jacques Chirac un programme drôle et populaire, réalisé avec talent. Donc je les regarde ! Ils sont intelligents, très politiques, parfois féroces. Et ce n’est pas par hasard si les téléspectateurs les plébiscitent depuis 20 ans. Le temps efface les cicatrices, et il faut souvent faire contre mauvaise fortune bon cœur : le plus souvent, en effet, je trouve ma marionnette sympathique. Même si je n’ai pas toujours été épargné. Alors, c’est sûr, les Guignols sont par définition dans l’excès ! Mais combien sont-ils parmi notre personnel politique à pester hors du champ des caméras contre la verve des Guignols ? Bien plus qu’on ne l’imagine…

Le plateau de l’émission est construit comme un pastiche de décor télévisé. Les marionnettes s’agitent de façon grotesques, avec des voix contrefaites, dans un univers factice, pour donner à une vision des choses qui se sont produites dans la journée l’apparence de la réalité. Celles-ci feront tout de suite après l’objet des annonces et des commentaires compassés des présentateurs et –trice du Journal de 20 heures. Mais en ayant eu l’occasion d’en rire un instant, elles nous paraissent supportables. Les Guignols prennent alors une dimension sociale et psychologique : ils déminent la dramaturgie de la grand-messe de l’information, où celle-ci n’a d’ailleurs que le nom. Ainsi, l’homme politique à la retraite admet-il que s’amuser des personnalités qui font l’actualité, cela a toujours existé. La satire, c’est un signe du bon fonctionnement d’une démocratie moderne.

Carla Bruni, quant à elle, ne se reconnaît pas dans sa marionnette, et trouve que son inflexion de voix ne lui ressemble pas. Le pantin permet à celui dont il se moque de prendre de la distance avec son personnage, voire de lui dénier toute vraisemblance. Ainsi, l’épouse du chef de l’État s’est-elle demandée si l’équipe des Guignols n’avait pas recyclé une ancienne marionnette de Ségolène Royal pour remplir le rôle. Ce ne serait pas le cas avec un artiste de cabaret, dont elle aurait à subir la présence. La vraisemblance en prendrait forcément un coup, mais se retrouver face à la moquerie incarnée est bien plus difficile à vivre ! C’est la raison pour laquelle Laurent Gerra évite de rencontrer les représentants du peuple au moment où ils viennent prendre sa place dans le studio de RTL. Mais forcer le trait à ce point porte forcément à conséquence : le penchant pour la boisson de la marionnette de Jean-Louis Borloo ne correspond guère à ce que constatent ceux qui côtoient le ministre de l’Écologie, reconnaît Yves Le Rolland, producteur artistique de l’émission depuis 1995.

De tout temps et en tout lieu, les artistes de cabaret se sont moqués des puissants. Le fasciste Lucien Rebatet raconte dans l’ouvrage de souvenirs qu’il a consacré à l’avant-guerre sa surprise d’en applaudir un à Berlin, et de rire des railleries qu’il faisait d’Adolf Hitler, alors au faîte de sa puissance. Les amuseurs ne sont pas l’expression d’une démocratie moderne, ils sont une nécessité populaire, et le pouvoir, autoritaire ou pas, se doit de les supporter pour faire accepter sa politique. En revanche, Les Guignols sont devenus incontournables à l’instar d’un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi. Et les imitateurs qui donnent un timbre particulier aux bourdes des marionnettes officient sur toutes les ondes, comme Nicolas Canteloup sur Europe1 le matin, et pendant longtemps sur le plateau de Michel Drucker dimanche soir. Pas étonnant que les hommes politiques finissent par ressembler à leur marionnette !

 

 


Le monde est-il peuplé d’autant de marionnettes
Qu’il faudrait croire à un trop-plein de dérision ?
Ces pantins nous font rire à la moindre occasion
Dès qu’un haut personnage a perdu les manettes.

Ainsi, les impressions ne sont pas des plus nettes
Dès qu’il s’agit de peindre une œuvre en illusion,
Ces clowns assez légers nous font leur provision
D’évocations pour nos tribuns, bien malhonnêtes.

Le prisme est monstrueux dès lors qu’il est grossi
Et c’est l’esprit si prompt qui s’en trouve obscurci
Par ces grands clercs du rire offrant une imposture.

Si les guignols n’ont pas la guigne à mettre en jeu
Le sort des gens d’aplomb et qu’on jette en pâture,
Mais le jour suivant vient et ils sont vite hors-jeu !