Un film rend hommage à Yehudi Menuhin

Un film rend hommage à Yehudi Menuhin

Le 12 mars 1999, Yehudi Menuhin s’éteignait à Berlin. 10 ans après, un hommage lui est rendu dans le monde entier. Le Violon du Siècle est une réalisation de Bruno Monsaigeon, que les amateurs connaissent pour ses portraits de Glenn Gould, Nadia Boulanger, Fischer-Dieskau ou Sviatoslav Richter, et lui-même violoniste. Il a rencontré Menuhin en 1972 et lui a consacré pas moins de seize portraits, dont le dernier, achevé en 1995, Le Violon du Siècle, couronne une longue amitié.

Filmé chez lui, en Grèce, Yehudi Menuhin nous raconte sa vie. Feuilleter l’album de souvenirs du maître, c’est parcourir l’histoire musicale de tout le XXème siècle. Les innombrables archives qui composent le film sont de vrais trésors : regarder ce film, c’est aussi voir les plus grands chefs, Fürtwangler, Fricsay ou Karajan, qui l’ont dirigé, les plus grands musiciens comme Rostropovitch, Fischer-Dieskau ou Gould qui furent ses partenaires. Un document exceptionnel.

Violon du siècle, assurément il l’est, tant il l’a marqué de son empreinte — et pas uniquement comme musicien — et tant il est celui qui a su inventer le mieux un langage contemporain pour le violon, avec peut-être David Oistrakh. Leur rencontre dans le Double Concerto de Bach reste un moment d’anthologie : les deux versants de l’instrument miraculeusement réunis dans ce dialogue d’exception. Tout en étant un héritier de la grande tradition européenne, lui qui fût l’élève de Louis Persinger et de Georges Enesco, le concurrent de ses aînés Jascha Heifetz et Fritz Kreisler, il est ce passeur qui inspire les violonistes d’aujourd’hui comme Gidon Kremer ou Itzhak Perlman auquel il céda son Stradivarius Soil en 1986 quand il considéra que sa main ne pouvait plus maîtriser la puissance de l’instrument.

Voilà les images les plus étonnantes : Yehudi Menuhin filmé dans les studios Charlie Chaplin à Hollywood en 1947 et dirigé par Antal Dorati, avec l’Orchestre symphonique d’Hollywood formé pour l’occasion. Les Danses hongroises n°5 et 4 de Brahms qui suivent mettent en valeur l’incroyable agilité de Yehudi Menuhin, accompagné au piano par Adolph Baller et Antal Dorati. Enfant, à 8 ans, il suppliait son professeur de travailler le Concerto pour violon de Beethoven, celui-là même qu’il offre ce soir de 1962 à l’International Concert Hall, avec le London Symphony Orchestra dirigé par Colin Davis. Ce concert est complété par le merveilleux Prélude de la Troisième Partita.

Ce juif qui, trente-cinq ans avant Daniel Barenboim, sans doute son fils spirituel en la matière, prônait l’ouverture avec les Palestiniens. Ce non-violent, intime du Dalaï-Lama, fut pris à partie par la droite nationaliste en Israël… Ce militant pour la liberté, au service de laquelle il a si souvent mis son art, admonestait l’URSS à respecter les droits de l’homme, et prenait la défense de Soljenistsyne et de Rostropovitch, alors que vénérer l’Union soviétique était encore à la mode en ces années soixante-dix… Ou exhortait avec véhémence Margaret Thatcher à épargner Bobby Sands et les grévistes de la faim de l’IRA !

Yehudi Menuhin est de ceux qui croient au plus profond d’eux-mêmes que l’art peut abolir le mal. Et pour lui, la preuve irréfutable, c’est la musique de Bach, toujours et encore Bach, dont il avait déjà enregistré l’ensemble des Sonates et Partitas avec une impressionnante maturité, à 20 ans, alors que pour tant d’autres, c’est encore un col infranchissable à 40 ! Un utopiste, un fou ou un sage ? Yehudi Menuhin demeure un sage engagé qui disait leur fait aux grands de ce monde, sans prendre de gants, mais avec un sourire désarmant. Ce pacifiste partit en tournée dans les camps de concentration et ceux de réfugiés avec le compositeur anglais Benjamin Britten en 1945, et la même année, donnait le concert inaugural de l’ONU à New York. Ce juif qui s’opposa à la dénazification hystérique en prenant fait et cause pour Wilhehlm Fürtwangler, une amitié qui trouva sa traduction artistique avec cet accomplissement commun autour du Concerto de Beethoven.

Au fond, il y a la mer des Cyclades, et au premier plan, devant la simplicité d’une terrasse blanchie à la chaud, en ce petit matin d’été à Mykonos, nous apercevons la frêle silhouette sans age d’un yogi faisant ses exercices quotidiens… Presque en apesanteur. Voici le portrait tellement intime de Yehudi Menuhin en sage ! Bruno Monsaingeon a intitulé son film, biographie en huit chapitres, Le violon du siècle, sorte de testament de près de 40 ans d’amitié entre le musicien et le cinéaste. Ensemble ils sont allés sur la muraille de Chine, à Moscou et Leningrad en un émouvant Retour aux sources pour Yehudi Menuhin, l’enfant de juifs russes émigrés à New York où il est né en 1916.