La Littérature au Mexique vue par Marie-Ange Brillaud

La Littérature au Mexique vue par Marie-Ange Brillaud

Coïncidence de l’actualité, au moment même où le président de la République française est en visite au Mexique, les plus grandes plumes du pays font leurs valises pour passer quelques jours à Paris. En effet, le Salon du Livre ouvre ses portes vendredi prochain pour réserver une place d’honneur à la littérature mexicaine. Des écrivains, parmi les plus lus en Amérique latine, seront présents pour rencontrer un public curieux, mais francophone… Ce n’est pas vraiment une difficulté, puisque des éditeurs se sont fait un devoir de défendre leurs œuvres depuis quelques années sur le marché français de l’édition. C’est pourquoi Le Mague a demandé à Marie-Ange Brillaud, traductrice des meilleurs auteurs mexicains, de nous dresser à grands traits un tableau de cette littérature exotique.

Le MAGue : Quelle sorte de rapport entretenez-vous avec les auteurs mexicains en littérature ?

Marie-Ange Brillaud : Premièrement je les lis beaucoup. J’ai traduit en particulier les livres de 3 auteurs mexicains invités au Salon du Livre de Paris : Celorio, Monsiváis et Serna, ainsi que des nouvelles pour L’Atelier du Gué et pour la revue Siècle 21. Je participe aussi au lancement d’une revue mexicaine, Número 0, qui montre son 2ème numéro à cette occasion. Le 1er numéro a paru lors de la semaine mexicaine de Barcelone en 2007. Elle est dirigée par Guadalupe Nettel et Pablo Raphael de la Madrid et co-financée par les éditions Almadía. Cette revue bilingue devrait être trimestrielle, en principe.

Le MAGue : Avez-vous un coup de cœur pour l’un d’entre eux en particulier ?

Marie-Ange Brillaud : Enrique Serna vient présenter son dernier roman publié chez Métailié : Quand je serai Roi met en scène des enfants pré-adolescents, dont l’un est pauvre, et l’autre, très riche. Ils se détruisent autant l’un que l’autre… L’enfant pauvre sniffe de la colle et l’enfant riche est odieux, il méprise les indigènes, les employés de maison, joue avec les armes à feu de son père. Enrique Serna avait publié auparavant un roman noir chez Phébus, La Peur des Bêtes, et un recueil de nouvelles que j’ai traduites, Amours d’Occasion, à L’Atelier du Gué. Il viendra le 19 mars à Montpellier après le Salon du Livre, où nous allons l’accueillir à l’auditorium du musée Fabre. Il aime beaucoup la ville et nous sommes heureux de le recevoir. C’est un de mes auteurs préférés parce qu’il est très drôle et j’apprécie son humour noir et grinçant. Il doit venir avec Jean-Claude Carrière, qui va présenter son Dictionnaire amoureux du Mexique.

Le MAGue : Désirez-vous attirer notre attention sur d’autres auteurs mexicains ?

Marie-Ange Brillaud : Bien sûr, on attend peut être Carlos Monsiváis… L’ouvrage que j’ai traduit, Nouveau Catéchisme pour Indiens insoumis, est publié chez L’Atelier du Gué. C’est sa seule œuvre de fiction, mélange de paraboles, d’hagiographie, faux catéchisme qui fait référence à l’époque coloniale, tout en intégrant des éléments très actuels. La satire et l’humour sont constamment présents et le perdant n’est pas celui qu’on croit.
Carlos Monsiváis est très connu au Mexique pour ses essais et articles de journaux… C’est vraiment le grand chroniqueur du Mexique actuellement.
Parmi les jeunes auteures, une jeune femme de 35 ans doit retenir toute notre attention. Guadalupe Nettel, qui vient de remporter le Prix Antonin Arthaud… Ce dernier a vécu au Mexique chez les Indiens Tarahumaras, il a raconté ses expériences avec les chamanes entre autre…

Le MAGue : Voulez-vous nous parler des rapports qu’entretiennent les cultures française et mexicaine ?

Marie-Ange Brillaud : Les Mexicains ont toujours beaucoup aimé la France, qui représente, pour eux, la Culture. Enrique Serna, par exemple, a appris le français pour lire les classiques. Il est ainsi capable de lire Victor Hugo dans le texte original. Les Mexicains ont une capacité d’ouverture d’esprit qui paraît nous manquer par moments. En France, au contraire, il y a beaucoup d’uniformisation… Il y a aussi toute une colonie française au Mexique, qui a émigré à partir du XIXème siècle depuis la ville de Barcelonnette, une librairie française à Mexico. Bien sûr, il y a encore de l’analphabétisme et de la pauvreté et tout le monde ne lit pas. Si l’on demande à un jeune français ce qu’il connaît du Mexique, une fois sur deux il vous répondra : Cancún ou le chili con carne, qui n’est absolument pas un plat mexicain. Certes, ils mangent des haricots noirs, mais pas de cette façon. Ce que nous en connaissons a été accommodé à la mode américaine, car les États-Unis ont annexé la moitié du territoire mexicain en 1848. Les Mexicains sont par exemple plus friands de poulet, de poisson, de légumes, et pas tellement de viande de bœuf.

Le MAGue : N’est-ce pas l’occasion de mieux connaître la culture mexicaine en France ?

Marie-Ange Brillaud : En effet, au Mexique, il y a vraiment de très bons écrivains. Gonzalo Celorio, tout en finesses par exemple, Mempo Giardinelli (Luna caliente), Guillermo Fadanelli (Un Scorpion en Février, L’Autre Visage de Rock Hudson, un polar chez Christian Bourgois), Eduardo Antonio Parra et beaucoup, beaucoup d’autres. Une femme que j’aime beaucoup, c’est Vilma Fuentes : elle a écrit plusieurs livres publiés chez Acte Sud et La Différence. L’Autobus de Mexico, Des Châteaux en Enfer, par exemple. Et elle est très drôle. J’ai traduit aussi une nouvelle d’Anna Garcia Bergua, Fiancée en Sucre, que j’ai bien aimée. Cette courte nouvelle fait entrer les croyances précolombiennes dans le quotidien de la modernité. Les Mexicains ont un autre rapport vis-à-vis de la mort, plus naturel et joyeux que nous. Le jour des morts, ils se rendent au cimetière pour faire la fête, parce qu’ils pensent que les âmes des morts reviennent les visiter. Parmi les thèmes abordés par la jeune génération en particulier, on peut citer la ville, la mégalopole, la drogue, le crime organisé, la corruption. C’est un peu la réalité mexicaine, et, bien entendu, cela n’est pas réjouissant. Mais les écrivains savent traiter ces sujets d’une manière distanciée par l’humour, la satire, le grotesque qui nous donnent vraiment envie de les lire…

 

 


Sous le soleil de plomb se voit le sombre héros
Déjà plus mal-en-point qu’en ville, où il sature
Au milieu de bouquins qui sont une imposture
Face au manque émouvant fumant des braseros.

Ceux qui n’ont pas produit de mauvais numéros
Ne vont pas sans un sou se perdre en conjecture,
Et nous verrons chez eux leur posture immature,
Un point de vue, au mieux pour des guérilleros…

Dérèglement des mœurs, des us et des coutumes
Ne cultivant pas plus que les remords posthumes,
En rêve, il voit les grands conflits du vide actuel.

Le sage a pris grand soin d’épargner sa monture,
Depuis les temps anciens, son regard est textuel,
Le solde, au cours du jour, c’est pour littérature…

 

Ici les traductions de Marie-Ange Brillaud.