Samedi.

Le printemps pointe son nez prématurément malgré le froid qui se lance dans la bataille acharnée de la lutte des places. Le ciel bleu, parsemé de nuages blancs-gris se laisse bercer par les sonorités aux allures musicales qui s’échappent des replis du soleil qui illumine la cité radieuse. Les rues s’encombrent de corps qui vont, viennent et reviennent dans les déploiements et redéploiements incessants de la vie. Sans perdre une seule seconde, Paris se déshabille. Oh, quel spectacle ! Ah, ce plaisir visuel ! Cette joie sensuelle ! Extase !!!

Me voilà attablée à la terrasse d’une brasserie en plein cœur de Paris en compagnie de cinq femmes célibataires, âgées entre 36 et 53 ans. Elles sont belles, intelligentes, désirables et biens d’autres qualités qu’un homme saura mieux que moi décliner. Ces femmes ont un point en commun. Elles sont des professionnelles du jeu de la séduction virtuelle. Des cyberlovers pour qui le web a pris le sens d’une immense toile dont la fonction est essentiellement matrimoniale puisque c’est le moyen par lequel elles comptent nouer des liens amoureux et remplir ainsi le vide de la solitude qui creuse le trou de leur vie sous l’effet du poids ô combien pesant de ce « doigt accusateur » qui vient sans cesse activer la douleur de leur solitude. Ces « websingles » sont devenues leur propre « cyberagent matrimonial ». Elles sont des inconditionnelles « believers » (croyantes) en Internet, « cette structure qui lie et relie » et qui a tendance à prendre l’allure d’un « Dieu omniscient et bon » dont le rôle est de les gratifier de l’élu du cœur, ce prince charmant qui fait défaut et qui brille par son absence.

Combien sont-elles à vivre sous la « tyrannie du branchement » ? Dans la peau de la Belle aux doigts magiques ? Réfugiées derrière la toile ? Protégées par l’anonymat ? Rêvant à loisir à « la » Merveilleuse histoire d’amour à durée indéterminée ?

Françoise (36 ans), Marlène (40 ans), Nicole (41 ans), Nathalie (46 ans), Anne (53 ans) sont réunies dans ce café parisien afin de parler de leur expérience de la « net-addiction ». Deux attitudes antagonistes semblent émerger de leur récit de « l’exercice de la télésexualité à distance ».

D’une part, celles qui croient fermement en l’efficacité, la fiabilité et le « sérieux » des sites de rencontres.

Et d’autre part, celles pour qui le net est une « arnaque », une « tromperie » et un moyen de séduction pour une catégorie d’hommes qui cherchent à vivre des aventures sans lendemain.

« Ma vie était un véritable désert affectif, explique Nathalie, une petite blonde aux grands yeux bleus gris qui dégagent un charme fou. Je sortais. J’essayais de provoquer des rencontres mais en vain. Un jour, un copain m’a filé l’adresse d’un site de rencontre. Et je crois que j’ai eu beaucoup de chance car j’ai trouvé l’homme dont je rêvais. On s’est parlé un certain temps puis il m’a invité à déjeuner. Et la première fois, j’avoue que j’ai eu très peur car nous n’avions pas échangé nos photos. Mais dès que je l’ai vu, c’était le coup de foudre. Lui aussi est tombé amoureux de moi. Cela fait bientôt 15 mois qu’on se connaît et nous sommes toujours ensemble et très amoureux ».

« Je ne suis pas si optimiste que toi, réplique Nicole, une rousse maquillée à la Amy Winehouse. Que proposent les sites de rencontre ? Une fiche de présentation résumant les caractéristiques de la personnalité de chacun des candidats à l’amour. Ton nom ou un pseudo. Une photo. Et encore !!! On s’écrit des messages. On chate sur des plateformes de discussion. Tout cela dans l’anonymat le plus complet. Tu ne sais pas qui est derrière la toile. Et les hommes que j’ai connus ont eu cette fâcheuse manie de se présenter sous une fausse identité. Au début, ils sont attentionnés, gentils car ils veulent mettre toutes les chances de leur côté pour te rencontrer : restos hyper chers, cadeaux, mots calins… Mais ces gentillesses étaient de très courte durée. Le dernier était un véritable monstre. J’ai eu du mal à m’en débarrasser. Moi, je n’ai jamais rencontrer un homme fiable. Alors comment voulez-vous que j’y croie ? »

« Oh, tu exagères un peu, répond Marlène qui prend très peu la parole. Je pense qu’en amour, il y a le facteur chance. Mais il faut aussi savoir choisir le site de rencontre. Je cherchais vraiment un compagnon pour la vie. Je ne voulais pas d’une aventure car je commençais à me faire vieille. J’étais au seuil de mes 40 ans ! Après quelques échanges pas très sérieux, j’ai fini par rencontrer celui qui va devenir le père de mes enfants. Que du bon quoi ! »

« Moi, renchérit Anne, divorcée trois fois, je cherchais coûte que coûte à me caser. Les différents sites de rencontre ne m’ont pas aidé. Je ne veux pas draguer dans un café ou en boîte. J’ai trop honte. A mon âge ! Le net, c’est bien. On se met en scène sans être vue. On se lâche. On cache nos défauts et nos complexes. Mes rides sont dissimulées par l’écran. Les hommes sont très rigolos. Ils sont moches, gros, tarés, bourrés de défauts et ils osent exiger des femmes jeunes et belles. Ah, ces mégalomanes ! Mais je ne peux nier qu’à plusieurs reprises, j’ai rencontré des hommes avec qui j’ai passé de merveilleux moments. Ce sont ces expériences positives que je veux garder en tête ».

« Heuuuh !!! lance Françoise qui perd jusqu’à son latin. Comment peut-on se fier à un site de rencontre ? On se choisit sur un catalogue. On occulte la vérité. Tout est orienté sexe et physique. Sur le net, il est beau. Célibataire. Gentil. Le prince charmant quoi ! Mais dès que tu te mets à nu, il t’annonce qu’il est marié. Sur le net, on rencontre surtout des mecs paumés, perdus, dépressifs, obsédés Je pense que pour le sexe c’est top mais pour l’amour, c’est plus difficile. Vous savez quoi ? Le net, c’est le centre aéré des libertins ! ».

Alors, Internet est-il le lieu où l’on tisse des liens amoureux durables et fiables ? Ce puissant moteur de rencontre, peut-il contribuer au développement personnel et générer ce changement tant attendu par un grand nombre de femmes ?

Messieurs, qu’en pensez-vous ? Est-il vrai qu’Internet est pour vous un moyen de rechercher des aventures de très courte durée ? Faut-il croire les rumeurs qui consistent à affirmer que seul le « sex appeal » (appel du et/ou au sexe) motive votre « obsession du lien » virtuel ? A vous la parole ! Mettez-vous à nu !