Plongée cinématographique dans l’univers de l’amour obscur

Plongée cinématographique dans l'univers de l'amour obscur

"Les oiseaux se cachent pour s’aimer". Tel n’est pas le titre d’un
film ou d’une chanson classique, mais une réalité belle et bien vécue
dans les salles de cinéma de la capitale et où la totalité des clients
ne sont autre que des jeunes amoureux à la recherche d’un véritable
échappatoire d’un contexte social rigoriste, compromettant, chargé
d’interdits moraux et religieux.

Une virée dans quelques salles de cinéma de la capitale algérienne, en cette belle journée printanière de ce mois de février, nous a permis de
faire une plongée dans les coulisses de ce monde obscur où se jouent
divers films dont les acteurs principaux sont des couples, des
voyeurs, des personnes oisives, et rarement des cinéphiles venus de
quelque part pour apprécier l’espace d’une projection un beau film.

Il est presque 12 heures de l’après-midi, on est juste à proximité de
l’Algeria, sis rue Didouche Mourad : deux couples rôdent autour de
l’entrée principale en attendant que la salle ouvre ses portes. Le
jeune, en jean délavé, veston en cuir, s’approche du guichet pour
s’enquérir des horaires de l’ouverture. Le guichetier, qui semblait
avoir de la peine à prononcer la réponse standard au quotidien,
signifie au jeune, en quelques bribes de mots, qu’il faut encore
attendre. Le jeune couple se retire dans un coin pour bavarder le
temps que sonne l’heure de la délivrance.

Interrogé sur les clients habituels de la cinémathèque, le guichetier,
un quinquagénaire, petit de taille, rondelet, aux yeux sombres,
cheveux gris et or s’exprime d’un ton ironique : "ces couples sont les
plus fréquents habitués du ciné, notamment lors des séances de
l’après-midi. Ils viennent pour s’aimer à l’abri des regards. Leurs
visages me sont tous familiers, même leur emploi du temps libre, je le
connais par cœur
". Et d’ajouter que quand ce ne sont pas des couples
qui viennent s’aimer, ce sont les voyeurs à la recherche de plaisir
solitaire, ou des familles qui viennent assister à la projection du
film. "Pour les familles, nous réservons toujours le rez-de-chaussée.
Pour les couples et les personnes solitaires, c’est plutôt l’étage
d’en haut. Nous comprenons que les couples algériens ne se tiennent
pas tranquille et évitons ainsi les altercations entre individus
",
souligne-t-il.

Du côté des couples, c’est un autre discours qui se tient. "On s’aime
à l’abri des regards. Franchement, nous n’avons pas où aller dans ce
bled
", affirme, d’un ton révolté Farouk, jeune homme trentenaire
qui venait de quitter la salle sombre, et dont les yeux semblaient
agressés par la lumière du jour. Accompagné de sa copine, une jeune
fille voilée, grande de taille, habillée avec soin, qui arrange
timidement son foulard, Farouk a répondu avec beaucoup d’aisance à
nos questions. Pour ce couple amoureux, il n’y a plus de lieux de
divertissement où les tourtereaux peuvent s’aimer en paix. "Là où l’on
va on est chassé soit par les éléments de l’ordre, soit par les bandits
qui n’hésitent pas, profitant de l’occasion, à vous agresser ou violer
votre copine où par les gens dans les endroits publics qui sont
devenus allergiques à l’amour
", déclare-t-il tout de go.

Plus loin de lui, un jeune couple, semblait s’impatienter pour
plonger dans le monde de l’amour obscur. La jeunette, une jouvencelle
âgée à peine de 19 ans, en petite jupe, pull en laine rouge et veste
courte rouge, lance des regards langoureux à son amant qui, d’une
main exploratrice, mais d’une tendresse inouïe, dessinait sur le dos
de sa dulcinée, par des mouvements circulaires, des caresses qui ne la
laissent point indifférente. Le désir se lisait sur le visage de ces
quelques couples venus d’on ne sait où pour un seul but, goûter
l’espace d’une projection, aux fruits de l’amour interdit par une
société en panne d’amour.

Combien sont-ils ? Certainement, une dizaine, mais la salle allait,
selon les dires du guichetier, enregistrer de plus en plus de
retardataires en quête de fuite, de plaisir, de sensations fortes et
d’un brin de liberté.

C’est la fin de la première séance, quelques couples quittent la salle
obscure, en clignant des yeux à cause de la lumière du jour. Que
pensent-ils du film qu’ils viennent juste de visionner ? Le film se
jouait ailleurs.

Mis à part les couples qui représentent la population la plus
importante des cinéphiles algériens, il y a également, les voyeurs.

Ceux-là sont également de véritables habitués des lieux. Ils arrivent
seuls au guichet, achètent leur ticket et glissent dans les pénombres
de la salle. Ils choisissent toujours un siège qui leur permet de
dominer parfaitement la salle. Ces voyeurs, eux aussi en proie aux
frustrations sexuelles, trouvent dans les salles de ciné un lieu sûr
où, placés en spectateur des ébats amoureux des couples, peuvent se
libérer de leur tension sexuelle, en s’adonnant aux plaisirs solitaires.

À part les couples, les oisifs et les voyeurs, il existe enfin une
catégorie de personnes qui arrivent en famille afin de regarder la
projection. "Il est vrai que le cinéma n’est plus ce qu’il était lors
des années 70
, lance Samir, père de famille, âgé de 56 ans, mais
malgré la mauvaise perception que beaucoup de citoyens ont de ces
salles, je continue à y emmener ma petite famille. Sauf que je choisis
toujours des cinéma où on peut être le moins choqué, comme celle d’El
Mougar
".