Pupille de l’état de Mohamed Zerguine : La peur de l’inconnu

Pupille de l'état de Mohamed Zerguine : La peur de l'inconnu

Un livre qui vous plonge dans les affres de la solitude, vous fait
partager le goût amer de l’abandon, de la perte de l’être aimée, vous
affronte à la peur de l’inconnu, est celui de Mohamed Zerguine,
intitulé, "Pupille de l’Etat : la peur de l’inconnu". Le livre nous
plonge, l’espace de 143 pages, dans le monde austère de l’enfance
abandonnée. Un monde douloureux, frustrant, rude, froid, qui a
quandmême donné naissance à un être sensible, aimant, tendre, et
talentueux.

Pupille de l’Etat, Mohamed Zerguine, l’est et, tout au long de son
livre, il se proclame enfant abandonné, délaissé, rejeté, puis adopté,
chérie et protégé par une famille qui lui a permis de se frayer un
chemin dans la vie sociale, de réussir à être l’homme résilient,
l’époux attentionné, le père tendre et dévoué à son foyer et l’auteur
remarquable de cette réflexion sur la condition de l’enfance
abandonné. A travers son vécu, Mohamed-Chérif Zerguine expose les
contradictions vécues par les enfants illégitimes en Algérie. Bien que
les pouvoirs publics leur confèrent un statut social, (droit à la
protection, au soutien matériel et moral), il n’en demeure pas moins
qu’ils restent victimes d’une société connue pour son conservatisme
aveugle, qui se veut stigmatisante et marginalisante à leur égard.

La face cachée de la peur de l’abandon

Dans sa réflexion poussée, tirée de son propre vécu, dont il parle de
manière fort poignante, traçant les étapes par lesquelles il est
passé, faisant étalages de ces souffrances, de ses peurs, Zerguine
dévoile la face cachée de la peur de l’inconnu. La nécessité et les
difficultés d’exister culturellement. Rejeté, exclu ou même raillé,
l’enfant illégitime porte, durant sa vie, l’empreinte indélébile des
circonstances honteuses de sa naissance. Son maintien au sein du
groupe familial (protégé par sa mère) constitue une marque de
l’infamie et du déshonneur.

Mohamed Zerguine parle de lui, de son enfance, de cette mère
fusionnelle de laquelle il a gardé un vague souvenir, le souvenir des
premiers affectes éprouvés dans le monde ténébreux de son utérus, de
son premier contact avec la réalité, un certain Novembre 1963, de son
destin tracé au préalable par des géniteurs qui n’ont pas eu le cran
de faire face à la société et d’assumer la conséquence de leur amour
interdit. Abandonné dans un foyer pour enfants assistés, il subit les
sanctions injustes d’un crime qu’il n’a pas commis.

Abandonné à l’âge de quatre jours à la pouponnière de Nôtre Dame des
Apôtres à Constantine, l’enfant a été, trois mois après, adopté par
une famille qui lui a apporté amour, protection et stabilité. Pour
Mohamed, ils étaient tous là, une véritable famille d’amour qui lui
donna un autre prénom. De son enfance, l’auteur garde quelques
souvenirs vagues. Sa famille d’accueil, par amour et également par
protection, lui dissimula toutes les informations sur son passé. Ses
souvenirs, relate-t-il, se résumait en des allers-retours réguliers,
pour contrôle de santé de l’enfant placé, chez les sœurs du centre
d’œuvres sociales de Notre Dame des Apôtres à Constantine. Ne dit-on
pas que l’enfance est l’âge de l’insouciance ? Pour l’auteur, les
questions allaient inévitablement faire leur apparition, éveillant,
dans les profondeurs de son âme, une vive douleur.

Ce qui fait la force de l’enfant

« A l’âge adolescent, après avoir vécu une solitude extrêmement
douloureuse, le déclic s’était produit », écrit-il. « Il était vital
pour moi d’affronter, de combattre et de m’imposer. J’ai commencé à
exprimer ou plutôt à crier ma souffrance, grâce à une activité
artistique, d’ailleurs les textes écrits et interprétés, le relatent
parfaitement ». La musique, où plutôt, la rédaction de textes reflétant
la souffrance intérieure qui le consumait, ont permis à l’auteur de se
libérer un tant soit peu de son passé lourd de chagrin, dont il ne
connaissait que des bribes d’informations, récoltées après élaboration
d’efforts monstres.

L’amour qui lui a été prodigué par sa famille adoptive, son besoin de
donner et de recevoir l’affection, ont fait de Mohamed, un époux et un
père à un jeune âge. A ce propos, il écrit. « Père de famille très
jeune, pour combler ce vide, adversité quasi-permanente dans le
quotidien, et enfin, ce voyage spirituel qui m’a apporté un apaisement
et une détermination inébranlable. Mon vrai nom ne me faisait plus
honte ».

L’auteur n’oublie pas d’évoquer les moments clés de son histoire. Des
moments qui l’ont fortement marqué, faisant de lui l’homme qu’il est
aujourd’hui. A chaque partie de son livre, il évoque ce nom qui
hantait ses nuits, son nom, dont il ne connaissait presque pas la
provenance. Son départ pour la France, à l’âge de Sept ans, sa
séparation avec ses grands parents adoptifs raviva sa douleur, rouvrit
sa plaie et laissa place au doute, à la confusion et à l’incertitude.
« La douleur de la séparation de mes grands parents adoptifs a été
impitoyable. Je ne voulais pas les quitter, en aucun cas je
n’admettais ce départ. A l’école je vivais dans la peau d’un autre
enfant, à travers ce nom patronymique, inconnu jusque-là. Se déclencha
ainsi, une angoisse extrêmement récurrente. A l’âge de 7 ans, mes
rêves d’enfants ont été fracassés par cette machine du doute, laissant
place à un état d’incertitude ».

Les moments clés de son existence

Vivant dans une famille adoptive qui lui cacha tout de son passé et
comme tout enfant adopté, un jour la réalité éclata, en 1973, pendant
les vacances à Constantine, quand une cousine à lui révéla qu’il
n’était qu’un orphelin. C’est à partir de cette date que tout à
basculer dans sa vie. Les questions s’enchainaient, les peurs se
multipliaient et une seule chose comptait : qui était-il ? Cette
question, évoque-t-il, dans son livre, est malheureusement imposée à
tous les gosses adoptifs comme une gymnastique cérébrale
contraignante.

L’auteur insiste que ce moment clé de son existence l’a mené vers une
aventure assez extraordinaire à la recherche d’un soulagement à ses
douleurs. Musique, écriture, composition et interprétation sont les
activités artistiques qui lui ont permis de panser sa blessure, de
parvenir à traverser sagement son adolescence. Les événements se
suivent après. Décès du grand-père tant adoré qui a plongé Mohamed
dans la tristesse absolue, retour dans la ville natale. Tout cela a
contribué à ranimer ses doutes, créant chez lui le besoin impérieux de
partir à la recherche de ses racines, de cette mère qui l’a
abandonner, de retracer son passé, d’affronter sa destinée.

La douloureuse quête des origines

Cette quête, tout au long du livre, s’avéra infructueuse, mais permis
à l’auteur d’être en contact avec une administration algérienne qu’il
accuse de négligence et d’une société stigmatisante. Une quête aux
origines qui déboucha sur un véritable plaidoyer pour améliorer la
condition de l’enfance assistée en Algérie. Tout au long de son récit,
Mohamed Zerguine, se plaçant au préalable, en position d’acteur et de
spectateur à la fois de sa condition d’enfant abandonné ensuite
adopté, dresse une liste loin d’être exhaustive des difficultés face à
lesquelles est livrée l’enfance assistée. S’appuyant sur des lectures
très poussées de livre en psychologie, portant sur le psychisme et le
vécu des enfants nés sous X, l’auteur dresse un tableau peu reluisant
de la situation de cette frange sociétale encore exclue. Exclusion
marquée, par l’absence de loi nouvelle portant sur la protection de
cette catégorie. Mohamed Zerguine achève son livre par un appel aux
consciences vives. « Impérativement, il est nécessaire, voire urgent
que toute la société investisse davantage ses efforts, pour favoriser
l’accueil rapide de l’enfant abandonne et cela des sa naissance pour
qu’il ait une famille. Peu importe qu’elle soit biologique ou
adoptive, le plus important est que la transparence et l’amour y
soient présent ».